Dans un arrêt du 14 janvier 2025, la Chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle l’autonomie des règles du droit pénal au regard de celles qui régissent le droit du travail (Cass. crim., 14 janvier 2025, n°24-81.365). L’employeur, partie civile au procès pénal, peut ainsi obtenir une indemnisation du salarié reconnu coupable d’une infraction pénale, et ce, même en l’absence de faute lourde.
Les enjeux de la faute lourde
La faute lourde se définit comme celle commise dans l’intention de nuire à l’employeur (ex. : le détournement de clientèle caractérise l’intention de nuire à l’employeur : Cass. soc., 6 avril 2022, n°20-20.128) : elle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice, et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise (ex. : la commission intentionnelle de plusieurs actes préjudiciables à l’entreprise, sont impropres en eux-mêmes à caractériser l’intention de nuire de la salariée, Cass. soc., 6 mars 2019, n°16-27960 ; voir « 5 arrêts pour comprendre la faute lourde »).
Remarque : l’intention de nuire à l’employeur est un critère difficile à caractériser, qui entraîne une certaine insécurité juridique pour l’employeur. Voir « Faut-il repenser la faute lourde du salarié ? »
En raison de sa particulière gravité, elle emporte des conséquences spécifiques. Ces spécificités semblent toutefois s’amenuiser au fil des années…
Il en va ainsi de la première spécificité : la privation de l’indemnité compensatrice de congé congés payés. Lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité du congé auquel il a droit, il bénéficie d’une indemnité compensatrice de congé. Jusqu’en 2016, le texte prévoyait que cette indemnité n’était pas due en cas de faute lourde du salarié (C. trav., art. L. 3141-26 anc.). Cette exception a été supprimée par la loi du 8 août 2016 (loi n° 2016-1088, suite à la décision du Conseil Constitutionnel n° 2015-523 QPC du 2 mars 2016).
Dès lors, l’une des distinctions entre faute grave et faute lourde a disparu : les conséquences indemnitaires sont identiques pour les deux motifs de licenciement (pas d’indemnité de licenciement ni de préavis, seule l’indemnité compensatrice de congés payés est due).
Une autre spécificité de la faute lourde est qu’elle seule permet d’engager la responsabilité civile du salarié l’ayant commise (voir notamment Cass. soc., 15 mars 2011, n° 09-69.001). L’employeur doit donc caractériser l’intention de nuire – et donc la faute lourde – pour voir ouvert son droit à être indemnisé par le salarié. Par exemple, un salarié qui détourne la clientèle de l’employeur au profit d’une société concurrente commet une faute lourde et peut être condamné à indemniser le préjudice subi par l’entreprise (Cass. soc., 27 févr. 2013, n° 11-28.481).
C’est cette deuxième spécificité qui fait l’objet de l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 14 janvier.
L’apport de l’arrêt du 14 janvier
En l’espèce, le salarié est pénalement déclaré coupable des chefs de conduite d’un véhicule en ayant fait usage de cannabis, en récidive, et conduite d’un véhicule à une vitesse excessive. Le préjudice matériel est lourd, puisqu’il s’élève pour l’employeur à près de 120.000 euros. La Cour d’Appel condamne le salarié à verser à la société l’intégralité de cette somme pour l’indemniser du préjudice matériel subi en raison des infractions commises.
Le salarié conteste en faisant valoir que sa responsabilité pécuniaire à l’égard de son employeur ne peut résulter que de sa faute lourde ou de ses infractions intentionnelles.
La Cour de cassation confirme ce qu’elle avait déjà pu décider par le passé en la matière : si, en droit du travail, l’employeur ne peut engager la responsabilité de son salarié que sur la base de la faute lourde, il en va différemment en matière pénale (voir Cass. crim., 25 février 2015, n°13-87.602).
La Haute Cour affirme ainsi que le salarié, reconnu coupable de deux infractions pénales ayant causé un dommage à son employeur, doit indemniser celui-ci sans que la caractérisation d’une faute lourde et/ou de l’intention de nuire à l’employeur, partie civile à l’action, ne soient nécessaires.
La règle est donc clairement posée : dans le cadre du procès pénal, la caractérisation de la faute lourde n’est pas nécessaire à l’indemnisation de l’employeur.
L’employeur qui n’a pas notifié le licenciement pour faute lourde, en cas d’infraction pénale du salarié, peut donc tout de même obtenir une indemnisation en se constituant partie civile dans le procès pénal, sans se voir opposer les contraintes du droit du travail applicables en la matière.
En conclusion, la faute lourde a aujourd’hui les même conséquences indemnitaires qu’une faute grave et, en cas d’infraction pénale du salarié, elle n’est pas absolument nécessaire pour que l’employeur obtienne une indemnisation. Compte tenu de la difficulté à la caractériser (intention de nuire, volonté de porter préjudice), la question mérite donc d’être posée : que reste-t-il de faute lourde aujourd’hui ?
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