Rupture

Des décisions rendues récemment par la Cour de cassation obligent à revenir quelques instants sur la faute lourde, en particulier sur sa notion. Si la question est réglée depuis bien longtemps, que l’ouvrage soit remis sur le métier vient sans doute d’une forme de résistance des juges du fond.

QU’EST-CE QUE L’INTENTION DE NUIRE ?

Le critère : l’intention de nuire à l’employeur. Voilà bien ce qui distingue la faute lourde des autres fautes du salarié et, par là-même, suscite un régime particulier : elle seule :

  • engage la responsabilité pécuniaire du salarié ;
  • justifie le licenciement du salarié en raison des comportements commis à l’occasion de la grève ;
  • et, hier, privait le salarié de l’indemnité compensatrice de congés payés (jusqu’à la décision du Conseil Constitutionnel n° 2015-523 QPC du 2 mars 2016).

QUELLE ARTICULATION AVEC LE PREJUDICE DE L’EMPLOYEUR ?

Mais le critère retenu peut aussi susciter quelques interrogations (voire une incompréhension), le poids du préjudice subi par l’entreprise et la conscience de ce dernier par le salarié n’étant pas suffisants pour qualifier les faits de faute lourde ; encore faut-il démontrer « la volonté du salarié de porter préjudice [à l’employeur] dans la commission du fait fautif » (Cass. soc., 4 juill. 2018, n° 15-26.687 et 15-26.688). Dans ces conditions, caractérise par exemple une faute lourde : l’organisation d’une conférence de presse destinée à ternir l’image de l’employeur au cours de laquelle le salarié porte des accusations infondées de harcèlement moral et de faits de discrimination dénaturés et volontairement sortis de leur contexte (Cass. soc. 5 juill. 2018, n° 17-17.485), ou encore le geste de menace d’égorgement à l’égard de l’employeur réalisé au cours d’une confrontation organisée par des gendarmes saisis d’une procédure d’enquête (Cass. soc., 4 juill. 2018, n° 15-19.597).

En revanche, tel n’est pas le cas s’agissant d’un cumul pour un salarié de rémunération et de l’indemnité de congés payés, ainsi que la prise en charge par la société de travaux personnels effectués au domicile au moyen de fausses factures (malversations rendues possibles par la complicité de l’épouse du salarié employée au poste de comptable) (Cass., 4 juill. 2018, n° 15-26.687 et 15-26.688).

L’APPLICATION PAR LES JUGES

On remarquera au passage que les juges ne sont pas toujours aussi stricts et semblent parfois déduire de la faute (et des conditions de sa réalisation) une intention de nuire, même dans des cas de détournements (Cass. soc., 8 juin 2017, n° 15-25.193). On peut alors penser que la censure de la Cour de cassation trouve sa source non dans l’absence du critère, mais dans le défaut ou l’insuffisance de motivation des juges du fond pour établir l’intention de nuire. La cassation serait purement disciplinaire.

Ne faudrait-il pas repenser la faute lourde et laisser de côté le critère de l’intention de nuire à l’employeur ?

Pour autant, ne faudrait-il pas repenser la faute lourde et laisser de côté le critère de l’intention de nuire à l’employeur ? La faute lourde serait une faute :

1/ grave : du fait de la gravité des faits et du préjudice,

2/ intentionnelle : en raison notamment des fonctions du salarié ou des conditions d’exercice de la faute (par exemple, falsifications de documents), le salarié avait nécessairement conscience de la gravité du dommage causé à l’entreprise, sans que la volonté de porter préjudice à l’employeur ne soit un élément déterminant.

Mais il ne s’agit-là que d’une simple piste de réflexion, que la Cour de cassation ne semble pas prête (encore ?) à explorer.