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Les récents et médiatiques arrêts de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 relatifs à l’acquisition des congés payés pendant les arrêts de travail nous ont fait prendre conscience de l’influence du droit de l’Union européenne sur notre droit social français. Le droit social à la française, souvent critiqué pour sa rigueur envers les employeurs, se voit infliger une mise en conformité rétroactive avec le droit européen par la Cour de cassation, qui n’a pas hésité à « court-circuiter » le législateur.

L’Europe libérale est ainsi en passe de devenir plus sociale que notre Code du travail !

Depuis quelques années, déjà, la poussée du droit européen s’était fait ressentir par le biais de l’interprétation conforme du droit interne par la Cour de cassation à la lumière du droit européen.

Une influence déjà bien présente en matière de durée du travail

Cette influence était déjà présente dans le domaine de la durée du travail. En effet, la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, celle-là même qui est à l’origine de l’abrogation jurisprudentielle du 5° de l’article L. 3141-5 du Code du travail relatif aux congés payés, a déjà été utilisée par la Cour de cassation pour fonder de nombreux arrêts de principe.

La jurisprudence la plus emblématique en la matière est celle relative aux forfaits jours aux termes de laquelle la Cour de cassation a subordonné la validité des accords collectifs relatifs au forfait-jours à l’existence de dispositions qui garantissent une amplitude et une charge de travail et raisonnables (Cass. soc., 26 septembre 2012 n°11-14.540). Malgré l’intervention du législateur en 2016, qui a tenté de mettre en conformité le Code du travail et de sécuriser le recours au forfait jours, la Cour de cassation ne cesse de durcir sa jurisprudence qui est toujours rendue aux visas des textes internationaux et européens.

Les astreintes ont également été impactées par cette influence européenne, car, sur le fondement de la directive du 4 novembre 2023, et en s’alignant sur l’arrêt de la CJUE du 21 février 2018 (CJUE, 21 février 2018, aff. C-518/15 Matzak), la Cour de cassation a jugé que le temps d’astreinte pouvait être qualifié de temps de travail effectif lorsque les conditions d’intervention contraignent le salarié à rester à la disposition de l’employeur (Cass. soc., 26 octobre 2022, n°21-14.178).

Le temps de trajet des itinérants a ensuite été redéfini par la Cour de cassation (Cass. soc., 23 novembre 2022, n°20-21.924) afin de s’aligner sur la jurisprudence de la CJUE, qui juge que le temps de déplacement de ces salariés doit être qualifié de temps de travail effectif dès le départ de leur domicile lorsqu’ils doivent rester disponibles pour répondre aux sollicitations de l’employeur (CJUE, 10 septembre 2015, aff. C-266/14, Federacion de Servicios Privados del sindicato Comisionez obreras).

Les évolutions à venir ne permettent pas de penser que ce mouvement va s’essouffler, bien au contraire…

Un mouvement qui ne s’essoufle pas !

En effet, des Cours d’appel ont d’ores et déjà repris à leur compte la jurisprudence européenne (CJUE, 5e ch., 21 juin 2012, aff. C-78/11, ANGED c/ FASGA) qui considère qu’un salarié tombant malade alors qu’il est déjà en congés payés peut reporter les jours de congés « dont il n’a pas pu bénéficier du fait de sa maladie » (en ce sens, CA Versailles, 18 mai 2022, n° 19/03230).

En outre, un arrêt de la CJUE du 13 janvier 2022 (CJUE, 13 janvier 2022, aff. C-514/20) laisse craindre une prochaine évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de congés payés. En effet, la CJUE assimile désormais les quatre premières semaines de congés payés à du temps de travail effectif pour apprécier le droit aux contreparties pour heures supplémentaires. Autrement dit, le salarié en congés payés pourrait prétendre à des majorations pour heures supplémentaires alors même qu’il n’a pas travaillé….

La boucle serait ainsi bouclée : le salarié en arrêt de travail acquiert des congés payés comme s’il avait travaillé, et ses congés payés produisent des majorations au titre des heures supplémentaires qui ne sont pourtant que la compensation d’un travail effectif.

Nous sommes donc bien éloignés de la « valeur travail » et du « travailler plus pour gagner plus ».

Nous assistons par ailleurs à une multiplication de lois qui ont pour seul objet de transposer des textes européens.

Il est ainsi possible de citer l’ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018, prise en application de l’article 32 de la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 qui a modifié loi n°78-17 du 6 janvier 1978 pour se mettre en conformité avec le règlement général sur la protection des données dit « RGPD » du 27 avril 2016.

La loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 a quant à elle transposé la Directive européenne 2019/1937 du 23 octobre 2019 qui vise à unifier, au sein du territoire de l’UE, la protection des lanceurs d’alerte.

Dernièrement, la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture (dite loi DDADUE) a transposé deux Directives européennes, n°2019/1152 et 2019/1158 du 20 juin 2019 relatives, d’une part, aux conditions de travail transparentes et prévisibles, et d’autre part, à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants.

Cette loi a mis fin à la dérogation permettant aux branches de conserver des durées de période d’essai supérieures aux durées légales. Par ailleurs, elle impose à l’employeur une nouvelle obligation générale d’information des salariés lors de l’embauche. Elle consolide également les droits des salariés en congé parental, en rappelant que le salarié conserve tous les avantages qu’il avait acquis avant le début du congé, notamment les congés payés non soldés, et elle assimile la période de congé de paternité et d’accueil de l’enfant à une période de travail effectif pour la détermination des droits que le salarié tient de son ancienneté.

A cette première loi DDADUE a succédé la seconde loi DDADUE du 22 avril 2024 qui a mis en conformité le droit français avec le droit européen s’agissant de l’acquisition des congés payés pendant les arrêts de travail.

Cette série de textes de transposition démontre que ces dernières années la plupart des évolutions majeures du droit social français ont été impulsées par le droit de l’Union européenne.

Il reste cependant à espérer que le législateur ne se contentera pas de dupliquer les règles du droit de l’Union européenne, que la Cour de cassation ne se limitera pas à être une chambre d’enregistrement de la CJUE, et qu’ils veilleront à préserver la sécurité juridique qui doit rester le socle de notre droit.

Plus que jamais les DRH et juristes doivent donc être attentifs aux évolutions du droit de l’Union européenne pour anticiper les évolutions du droit français.