Capstan vous propose une nouvelle sĂ©rie d’articles « Le Cap by Capstan »
Dans cette deuxième livraison, CAPSTAN MariTeam met le cap sur la question des heures supplĂ©mentaire en droit du travail maritime, Ă la suite de l’arrĂŞt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 8 octobre dernier.
Bonne navigation !
Principes applicables en droit du travail maritime en matière d’heures supplémentaires : rappel
Définition : Toute heure de travail accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire, donnant droit à une majoration salariale ou à un repos compensateur (C. trav., article L. 3121-28, rendu applicable par C. transp. art. L. 5544-8).
Majoration : Les taux de majoration des heures supplémentaires sont fixés par accord collectif, mais ne peuvent être inférieurs à 10 %. À défaut d’accord, les huit premières heures supplémentaires sont majorées de 25 %, les suivantes de 50 % (C. trav., art. L. 3121-33 et L. 3121-36).
Repos compensateur : Un repos compensateur peut remplacer tout ou partie du paiement des heures supplémentaires, sous conditions (C. trav., art. L. 3121-37).
RĂ©gime probatoire spĂ©cifique : L’article L. 3171-4 du Code du travail (al. 1er : « En cas de litige relatif Ă l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les Ă©lĂ©ments de nature Ă justifier les horaires effectivement rĂ©alisĂ©s par le salariĂ©. ») n’est pas applicable aux marins en vertu de l’article L. 5544-1 du code des transports.
Genèse du litige
Un marin-cuisinier, employĂ© par une sociĂ©tĂ© française sur un navire battant pavillon britannique, a saisi la justice pour obtenir le paiement d’heures supplĂ©mentaires. Son employeur ne produisait pas le registre lĂ©gal des heures de travail. Le conseil de prud’hommes avait fait droit Ă la demande du salariĂ© (Le conseil de prud’hommes est ici compĂ©tent car le litige concernait l’exĂ©cution du contrat d’engagement maritime sur un navire Ă©tranger. Si le contrat s’était exĂ©cutĂ© sur un navire français, le litige aurait Ă©tĂ© portĂ© devant le Tribunal judiciaire).
Cependant, la cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrĂŞt du 15 mars 2024 (CA Aix-en-Provence, 15 mars 2024, n° 21/15732), a dĂ©boutĂ© le marin, considĂ©rant que son dĂ©compte d’heures, bien que prĂ©cis, n’était pas suffisant en l’absence d’élĂ©ments de preuve complĂ©mentaires.
Tirant les consĂ©quences de l’inapplicabilitĂ© de l’article L. 3171-4 du Code du travail aux marins, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a adoptĂ© une interprĂ©tation stricte de l’article L. 5544-1 du Code des transports, privilĂ©giant une approche protectrice des armateurs, dès lors qu’elle impose au salariĂ© de rapporter la preuve d’une activitĂ© effectivement accomplie, mĂŞme en prĂ©sence d’un manquement commis par l’armateur dans la tenue du registre des heures, comme l’impose l’article 18 du dĂ©cret n° 2005-305.
Cet arrĂŞt a fait l’objet d’un pourvoi en cassation, Ă l’occasion duquel le marin a, par mĂ©moire distinct et motivĂ©, demandĂ© de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalitĂ© (QPC), faisant valoir l’inapplicabilitĂ© aux marins de l’article L. 3171-4 du Code du travail au motif qu’il porterait une atteinte excessive au principe d’Ă©galitĂ© garanti par l’article 6 de la DĂ©claration des droits de l’homme et du citoyen du 26 aoĂ»t 1789 et Ă l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958.
La Cour de cassation a jugĂ© que cette QPC n’était ni nouvelle (le principe d’égalitĂ© ayant Ă©tĂ© très souvent interprĂ©tĂ© par le Conseil), ni sĂ©rieuse et ne l’a donc pas transmise au Conseil constitutionnel (Cass. soc. 22 janvier 2025, n° 24-17.726). Cet arrĂŞt confirme seulement que l’article L. 3171- 4 du code du travail n’est pas applicable au travail maritime, exclu par l’article L. 5544-1 du code des transports.
L’apport de l’arrêt du 8 octobre 2025
Dans un arrêt du 8 octobre 2025 (n°24-17.726), la Cour de cassation censure la position de la Cour d’appel d’Aix en Provence, opérant un rappel fondamental :
« En cas de litige sur les heures de travail d’un marin, c’est à l’employeur de rapporter la preuve de la tenue du registre des heures, comme l’impose l’article 18 du décret n° 2005-305. Si l’employeur ne s’exécute pas, un décompte précis présenté par le salarié suffit à faire droit à sa demande. Le doute profite alors au salarié. »
A retenir
Cet arrêt du 8 octobre 2025 impose une vigilance accrue : la tenue et la présentation du registre des heures sont déterminantes en cas de contentieux.
À défaut, la demande de rappel d’heures supplémentaires, si elle repose sur un décompte détaillé, primera devant le juge.
Approche critique : quelle pertinence de la notion d’heure supplémentaire dans le droit du travail maritime ?
L’arrêt du 8 octobre 2025, s’il consacre la prééminence du registre légal des heures de travail comme pivot du régime probatoire, ne règle pas pour autant la question de fond : la notion d’ « heure supplémentaire » est-elle réellement transposable au travail maritime ?
Le Code des transports a, en effet, substitué à la durée légale du travail une logique d’organisation du service à bord, fondée sur des temps de travail et de repos spécifiques. Le régime maritime se distingue ainsi radicalement du modèle terrestre : le marin est soumis à des contraintes opérationnelles, météorologiques et de sécurité qui rendent difficile toute référence à une durée hebdomadaire fixe.
Dans cette perspective, l’application mécanique de la notion d’heures supplémentaires – définie par rapport à une durée légale de 35 heures – apparaît discutable. Le temps de travail des marins relève d’un équilibre entre service continu et repos minimal, sans que la loi n’impose une durée maximale assimilable à celle du Code du travail.
Dès lors, la revendication d’heures supplémentaires se heurte à une difficulté structurelle : comment déterminer un dépassement d’une durée qui n’est pas, en soi, légalement fixée ?
Cette analyse conduit à envisager que la rémunération du marin repose sur une obligation de disponibilité intégrée à la fonction, et non sur un décompte horaire classique.
C’est pourquoi une partie de la doctrine – à laquelle notre cabinet souscrit – considère que la reconnaissance d’un régime d’heures supplémentaires dans le secteur maritime devrait être subordonnée à une harmonisation législative explicite, intégrant les particularités de la navigation et les régimes d’équivalence propres à ce secteur.
Nous reviendrons sur la question de l’existence de la notion d’heures supplémentaires dans le maritime dans un prochain article de notre série « Le Cap by Capstan ».
Dans cette sĂ©rie, voir aussi « Maladie survenue en cours de navigation et congĂ©s payĂ©s : avis de tempĂŞte annoncĂ© !«Â
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