Dans un contentieux initié par un chauffeur de poids lourd, il est reproché à une société d’avoir sanctionné par un avertissement un salarié qui, pendant son jour de repos :
- ne s’était pas renseigné sur son horaire de travail du lendemain, conformément à une pratique de l’entreprise ;
- n’avait pas répondu à un appel du responsable d’exploitation, ni à un SMS de l’agent d’exploitation l’informant de la mission du lendemain sur son téléphone personnel.
La Cour de cassation donne raison au chauffeur routier, peu important que le salarié se soit conformé, dans le passé, à la pratique consistant à se renseigner sur le travail pour le jour suivant lors de ses repos. En effet, « le fait de n’avoir pu être joint en dehors des horaires de travail sur son téléphone portable personnel est dépourvu de caractère fautif et ne permet donc pas de justifier une sanction disciplinaire » (Cass. soc., 9 octobre 2024, n°23-19.063).
Droit à la déconnexion : le contexte
Dans cet arrêt, la Cour de cassation vient rappeler que l’indisponibilité du salarié en dehors de son temps de travail ne saurait justifier une sanction disciplinaire.
Ce faisant, elle applique le principe du droit à la déconnexion des salariés, présent dans notre droit depuis près de dix ans (C. trav., art. L 2242-17) : les salariés n’ont pas d’obligation à se connecter à leurs outils numériques professionnels (smartphones, tablettes, PC portables, messagerie, logiciels…) hors des horaires de travail.
Remarque
En pratique, on peut toutefois noter que des difficultés subsistent. Ainsi dans une étude Qapa de 2020, 49% des personnes interrogées reconnaissaient consulter leurs mails professionnels plusieurs fois par jour pendant leurs congés (contre 42 % en 2018), , tandis que dans une enquête d’Eurofound de 2023, près d’1/5e des répondants ont déclaré travailler des heures supplémentaires parce qu’ils sont contactés en dehors des heures de travail (Eurofound (2023), Right to disconnect: Implementation and impact at company level, Publications Office of the European Union).
Celui-ci est mis en œuvre à travers plusieurs obligations légales :
- L’obligation d’une négociation sur la qualité de vie au travail incluant le droit à la déconnexion, dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire pour les entreprises qui y sont soumises (C. trav., art. L. 2243-2) ;
- L’obligation de prévoir une charte, à défaut d’un accord d’entreprise, pour la validité des forfaits jours/an pour les cadres (C. trav., art. L. 3121-65) ;
- La nécessité de prévenir les risques d’atteinte à la santé physique et mentale, par le biais de la rédaction du document unique d’évaluation des risques professionnels en application de l’obligation générale de sécurité de l’employeur envers ses salariés (C. trav., art. L. 4121-2).
Des obligations légales à traduire dans des mesures concrètes
De façon générale, des mesures concrètes peuvent facilement être mises en œuvre dans les entreprises, notamment :
- Définir des plages horaires de disponibilité dans les emplois du temps ;
- Bloquer l’accès aux outils informatiques lors de certaines plages horaires, journées, notamment les week-ends et congés ;
- Contrôler les temps de connexion, les évaluer et alerter et sanctionner en cas d’abus ;
- Dispenser les salariés de réponse en dehors des temps de travail, sauf circonstances exceptionnelles énumérées limitativement ;
- Former et sensibiliser les managers, puis l’ensemble des salariés.
Une souplesse indispensable dans certains secteurs d’activité
Il convient toutefois de laisser une certaine flexibilité dans l’accès aux outils numériques professionnels en dehors du temps de travail strictement dit, pour les fonctions à hautes responsabilités mais aussi pour certains secteurs d’activité dont l’organisation rend indispensable une certaine souplesse.
Par exemple dans les faits ayant donné à l’arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 2024 : quelle solution aurait permis à l’employeur de prévenir le salarié de son heure de reprise de poste au lendemain de son jour de repos ? Ce questionnement vaut dans de nombreux secteurs, où l’anticipation des horaires de travail est difficile et dépend de contraintes extérieures, comme l’aide à domicile, la santé ou le transport. Une concertation avec les élus du CSE ou les salariés concernés pourrait être envisagée pour s’assurer d’une information fiable et accessible.
Quel que soit le secteur d’activité, l’employeur doit prendre en considération le respect du droit à la déconnexion et s’assurer que performance et productivité ne se mesurent pas à la seule disponibilité, physique ou virtuelle, des personnels.
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