Contentieux

La demande de communication de documents comportant des données personnelles, tels que des bulletins de paie, pour établir une discrimination, est-elle licite au regard du RGPD ?

Quel rôle pour le juge judiciaire, saisi à l’occasion d’une action engagée devant un conseil de prud’hommes par un salarié alléguant des faits de discrimination, d’une demande de communication de documents contenant des données personnelles aux fins de caractérisation et de réparation de la discrimination ?

Telles sont les questions auxquelles la Cour de cassation est venue répondre dans une décision du 3 octobre dernier, qui sera publiée au bulletin et au rapport (Cass. 2e civ., 3 oct. 2024, n°21-20.979).

Le contexte de la décision du 3 octobre

Un salarié saisit la juridiction prud’homale de demandes de rappel de salaire et d’indemnisation, prétendant avoir fait l’objet d’une discrimination syndicale en matière d’évolution salariale et professionnelle.

Par jugement avant dire droit, le conseil de prud’hommes ordonne à la société qui l’emploie, de produire et communiquer au salarié demandeur les historiques de carrière de 9 salariés nommément désignés, ainsi que leurs bulletins de salaire de décembre de chaque année sur les 10 dernières années.

La société conteste ce jugement en invoquant le droit à la protection des données personnelles de ces salariés garanti par le RGPD, et plus précisément son article 6 qui concerne la licéité d’un traitement de données personnelles.

L’application du RGPD

Dans sa décision, la 2ème chambre civile confirme, en premier lieu, que le RGPD s’applique bien à la production de documents contenant des données personnelles dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, la mesure d’instruction ordonnée n’étant licite que si :

  • elle est fondée sur le droit national (RGPD, art. 6 § 3),
  • elle constitue une mesure nécessaire et proportionnée (RGPD, art. 6 § 4),
  • et garantit l’un des objectifs du RGPD, en l’espèce « la protection de l’indépendance de la justice et des procédures judiciaires et l’exécution des demandes de droit civil » (RGPD, art. 23).

Des conditions que la Cour de cassation estime remplies, dans la mesure où le droit français prohibe la discrimination, notamment syndicale (C. trav., art. L. 1132-1) et impose au salarié, en cas de litige, de présenter les éléments de fait laissant supposer l’existence de cette discrimination (C. trav., art. L. 1134-1), lesquels permettent au juge de prononcer, en la matière, des mesures d’instruction soumises à un contrôle de proportionnalité.

L’office du juge

Dans un second temps, la 2ème chambre civile rappelle le principe général du droit à un procès équitable et du « droit à la preuve », et détermine le rôle du juge saisi d’une demande de communication de documents contenant des données à caractère personnel afin de caractériser et réparer une discrimination. 

Il appartient ainsi au juge :

  • d’abord, de rechercher si cette communication est effectivement nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d’autres salariés et de vérifier quelles mesures sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi ;
  • de cantonner, au besoin d’office, le périmètre de la production de pièces sollicitées au regard notamment des faits invoqués et de la nature des pièces sollicitées ;
  • de veiller au principe de minimisation des données personnelles posé par le RGPD, en ordonnant, au besoin d’office, l’occultation de toutes celles qui ne sont pas indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi. Pour cela, l’arrêt ajoute, « il lui incombe de s’assurer que les mentions, qu’il spécifiera comme devant être laissées apparentes, sont adéquates, pertinentes et strictement limitées à ce qui est indispensable à la comparaison entre salariés en tenant compte du ou des motifs allégués de discrimination » ;
  • et enfin de faire injonction aux parties de n’utiliser les données personnelles des salariés de comparaison qu’aux seules fins de l’action en discrimination.

En conclusion, on peut souligner que, si l’injonction prononcée par le juge contre l’employeur de communiquer des bulletins de paie d’autres salariés pour établir une discrimination syndicale est conforme au RGPD, le juge doit néanmoins veiller à ce que cette communication respecte le principe de minimisation des données, en ordonnant, par exemple, l’occultation des mentions non indispensables ou en cantonnant le périmètre de la production des pièces demandées.

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