Covid-19

Prise dans le contexte de l’épidĂ©mie de Covid-19, l’ordonnance n°2020-323 du 25 mars 2020 a notamment prĂ©vu la possibilitĂ© pour l’employeur d’imposer, dans la limite de 10 jours, la prise de jours de repos conventionnels et d’imposer l’utilisation des droits affectĂ©s sur le CET du salariĂ© par la prise de jours de repos (articles 2 et 4 de l’ordonnance n°2020-323).

Les conditions de recours Ă  ces dispositions viennent d’ĂȘtre prĂ©cisĂ©es par la Cour de cassation, dans un arrĂȘt rendu le 6 juillet 2022 (Cass. soc., 6 juillet 2022, n°21-15.189, FP-B+R).

Le contexte qui a donnĂ© lieu au litige est dĂ©taillĂ© dans le premier billet consacrĂ© Ă  cet arrĂȘt.

L’article est tĂ©lĂ©chargeable dans son intĂ©gralitĂ© ci-dessous.

Que faut-il retenir de l’arrĂȘt du 6 juillet ? Les apports de la Cour de cassation peuvent ĂȘtre regroupĂ©s en quatre points.

1 – Le recours aux dispositions de l’ordonnance n°2020-323 ne nĂ©cessite pas de dĂ©montrer l’existence de difficultĂ©s Ă©conomiques

A la lecture de l’ordonnance n°2020-323, la prise des mesures dĂ©rogatoires prĂ©vues par ce texte ne peut intervenir que « lorsque l’intĂ©rĂȘt de l’entreprise le justifie eu Ă©gard aux difficultĂ©s Ă©conomiques liĂ©es Ă  la propagation du Covid‐19 ».

Doit-on pour autant imposer Ă  l’employeur qui souhaite mobiliser ce dispositif d’apporter la preuve de « difficultĂ©s Ă©conomiques Â» liĂ©es Ă  la propagation du Covid-19 ?

La Cour d’appel de Paris avait rĂ©pondu Ă  cette question par l’affirmative et considĂ©rĂ© que les notes de service constituaient un trouble manifestement illicite, dĂšs lors que les employeurs ne rapportaient pas au cas particulier une telle preuve.

En rupture avec la motivation de la Cour d’appel, la Haute Juridiction a estimĂ© que l’employeur qui souhaite mobiliser les dispositions litigieuses n’a pas Ă  dĂ©montrer l’existence de difficultĂ©s Ă©conomiques.

Les Ă©changes devant la Cour de cassation ont Ă©tĂ© extrĂȘmement nourris ; les dĂ©bats ont Ă©tĂ© alimentĂ©s par l’interprĂ©tation du texte mais Ă©galement l’étude des travaux prĂ©paratoires, de la loi d’habilitation et de son Ă©tude d’impact. Les dĂ©bats devant la Chambre sociale ont ainsi permis de rappeler la volontĂ© du lĂ©gislateur, lequel envisageait une certaine souplesse dans la mobilisation des dispositifs prĂ©vues par l’ordonnance du 25 mars 2020. A cet Ă©gard, il est nĂ©cessaire de rappeler que l’objectif affichĂ© par le lĂ©gislateur dans la loi d’habilitation du 23 mars 2020 Ă©tait de permettre Ă  « tout employeur Â» d’imposer de façon limitĂ©e la prise de jours de repos/jours Ă©pargnĂ©s sur un CET, pour « faire face aux consĂ©quences Ă©conomiques, financiĂšres et sociales de la propagation de l’épidĂ©mie Â».

A l’aune de ces Ă©lĂ©ments, la Cour de cassation a estimĂ© que le recours aux mesures prĂ©vues par les articles 2 Ă  4 de cette ordonnance n’était pas limitĂ© Ă  la seule situation de difficultĂ©s Ă©conomiques.

2 – Le recours aux dispositions de l’ordonnance n°2020-323 nĂ©cessite de dĂ©montrer les rĂ©percussions de la crise sanitaire sur l’entreprise

Que reste-t-il Ă  dĂ©montrer s’il n’est pas nĂ©cessaire d’apporter la preuve de « difficultĂ©s Ă©conomiques Â» ?

Sur ce point, la Cour de cassation a estimĂ© que ces dispositions peuvent ĂȘtre mobilisĂ©es par l’employeur dĂšs lors que la crise sanitaire a des rĂ©percussions sur le fonctionnement de l’entreprise ; une telle dĂ©monstration appartenant Ă  l’employeur.

En l’occurrence, l’employeur mettait en avant :

  • la nĂ©cessitĂ© d’adapter son organisation face Ă  une augmentation inattendue de l’absentĂ©isme tenant au fait qu’une partie de ses salariĂ©s se trouvait Ă  domicile sans possibilitĂ© de tĂ©lĂ©travailler ;
  • la nĂ©cessitĂ© d’amĂ©nager les espaces de travail et d’adapter le taux d’occupation des locaux en raison des conditions sanitaires. 

Cette liste n’est pas exhaustive : d’autres consĂ©quences de la crise sanitaire pourraient Ă©galement ĂȘtre mis en avant en cas de litige sur la mobilisation de ces dispositifs (difficultĂ©s Ă©conomiques, problĂšmes de trĂ©sorerie, restrictions d’ouverture et arrĂȘt d’activitĂ© pour les activitĂ©s « non essentielles Â», difficultĂ©s d’approvisionnement, dĂ©sorganisation des chaines de production, etc.) ; la seule obligation pesant sur l’employeur Ă©tant de dĂ©montrer la rĂ©alitĂ© du retentissement de la crise sanitaire sur le fonctionnement de l’entreprise.

Au-delĂ  de cette dĂ©monstration, la Cour de cassation rappelle qu’il n’appartient pas au Juge de contrĂŽler le choix de l’employeur de mettre en Ɠuvre les mesures de l’ordonnance n°2020-473.

3 – Les dispositions de l’ordonnance n°2020-323 ne s’appliquent pas aux salariĂ©s bĂ©nĂ©ficiant d’un arrĂȘt de travail dĂ©rogatoire

En l’espĂšce, la seconde note de service litigieuse prĂ©voyait d’imposer la prise de jours de repos aux salariĂ©s bĂ©nĂ©ficiant d’un arrĂȘt de travail dĂ©rogatoire, dans la limite de 10 jours. Au-delĂ  de cette limite, ces salariĂ©s Ă©taient placĂ©s en dispense d’activitĂ© intĂ©gralement rĂ©munĂ©rĂ©e (et bĂ©nĂ©ficiaient donc d’une rĂ©munĂ©ration plus favorable que s’ils avaient Ă©tĂ© placĂ©s en activitĂ© partielle).

Aux termes de la loi n°2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, pouvaient ĂȘtre placĂ©s en position d’activitĂ© partielle les salariĂ©s de droit privĂ© se trouvant dans l’impossibilitĂ© de continuer Ă  travailler pour l’un des motifs suivants :

  • le salariĂ© est une personne vulnĂ©rable prĂ©sentant un risque de dĂ©velopper une forme grave d’infection au virus SARS-CoV-2, selon des critĂšres dĂ©finis par voie rĂ©glementaire ;
  • le salariĂ© partage le mĂȘme domicile qu’une personne vulnĂ©rable au sens du deuxiĂšme alinĂ©a du prĂ©sent I ;
  • le salariĂ© est parent d’un enfant de moins de 16 ans ou d’une personne en situation de handicap faisant l’objet d’une mesure d’isolement, d’Ă©viction ou de maintien Ă  domicile.

Ces dispositions fixent un rĂ©gime d’ouverture de l’activitĂ© partielle qui est fondĂ© sur la situation personnelle de certains salariĂ©s, et distinct de celui ouvert par le code du travail au regard de la situation de l’entreprise.

Par l’arrĂȘt du 6 juillet 2022, la Cour de cassation apporte deux prĂ©cisions.

D’une part, l’employeur n’est pas tenu de recourir Ă  l’activitĂ© partielle pour les salariĂ©s relevant des situations visĂ©es dans la loi de finances rectificative ; l’employeur garde la possibilitĂ©, comme cela a Ă©tĂ© fait en l’espĂšce, de maintenir la rĂ©munĂ©ration des salariĂ©s.

NĂ©anmoins, l’employeur ne peut pas appliquer Ă  ces salariĂ©s les dispositions des articles 2 Ă  4 de l’ordonnance n°2020-323 du 25 mars 2020. La Cour de cassation indique dans sa note explicative que ces derniĂšres mesures visent Ă  rĂ©pondre Ă  la situation concrĂšte de l’entreprise et ne sauraient ĂȘtre mobilisĂ©es en raison de la situation personnelle de certains salariĂ©s dans l’impossibilitĂ© de travailler.

Si les mesures prĂ©vues par les articles 2 et 4 de l’ordonnance n°2020-323 ont cessĂ© de s’appliquer aprĂšs le 30 septembre 2021, cet arrĂȘt a le mĂ©rite d’apporter des Ă©clairages nĂ©cessaires dans le cadre de contentieux en cours ou Ă  venir sur la lĂ©gitimitĂ© du recours Ă  ces dispositifs.

4 – Un syndicat peut demander au Juge de mettre fin Ă  un dispositif qu’il estime irrĂ©gulier, mais pas de rĂ©tablir les salariĂ©s impactĂ©s dans leurs droits

Selon le Code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits rĂ©servĂ©s Ă  la partie civile concernant les faits portant un prĂ©judice direct ou indirect Ă  l’intĂ©rĂȘt collectif de la profession qu’ils reprĂ©sentent.

De maniĂšre classique, la dĂ©fense de l’intĂ©rĂȘt collectif de la profession se distingue de la dĂ©fense de l’intĂ©rĂȘt individuel des salariĂ©s.

Cette distinction est rappelée par la Cour de cassation.

Ainsi, si un syndicat peut agir en justice pour contraindre un employeur Ă  mettre fin Ă  un dispositif qu’il estime irrĂ©gulier (en l’occurrence les deux notes de services prises en application de l’ordonnance n°2020-323), il n’est pas recevable Ă  obtenir que les salariĂ©s concernĂ©s soient rĂ©tablis dans leurs droits. La Cour de cassation rappelle qu’une telle demande n’a pas pour objet la dĂ©fense de l’intĂ©rĂȘt collectif de la profession en ce qu’elle implique de dĂ©terminer, pour chaque salariĂ©, le nombre exact de jours de repos que l’employeur a utilisĂ©s au titre des mesures dĂ©rogatoires.

L’article est tĂ©lĂ©chargeable dans son intĂ©gralitĂ© ci-dessous

Fichier joint