Les conditions de validité du forfait jours
Une convention de forfait en jours peut être valablement conclue dans le cadre d’un accord collectif répondant aux exigences fixées par l’article L. 3121-64 du Code du travail, qui doit notamment définir :
- Les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;
- Les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise ;
Les modalités d’exercice du droit à la déconnexion doivent également être prévues.
Si ces conditions ne sont pas satisfaites, tout n’est pas perdu ! Ainsi, même en cas de litige, le juge devra apprécier si le régime supplétif prévu par l’article L. 3121-65 permet malgré tout de préserver la validité de la convention de forfait en jours. Dans ce but, il faut que la pratique du forfait réponde à d’autres exigences :
- L’établissement par l’employeur d’un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. S’il est possible de le faire renseigner par le salarié, c’est toujours sous la responsabilité de l’employeur ;
- L’employeur s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
- L’organisation par l’employeur, une fois par an, d’un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.
Une appréciation rigoureuse de la Cour de cassation
Ces conditions sont appréciées avec rigueur par la Cour de cassation, en suivant fidèlement et exhaustivement le texte, comme le rappelle encore un récent arrêt (Cass. Soc. 10 janvier 2024, n° 22-15.782). Ainsi, parce qu’il assume la responsabilité du contrôle du nombre et de la date des jours travaillées, l’employeur peut :
- soit établir lui-même un document de suivi,
- soit laisser au salarié le soin de le renseigner (système auto-déclaratif), mais en veillant dans ce cas à contrôler effectivement qu’il est conforme à la réalité, et à rectifier les éventuels écarts. En cas contraire, le simple constat – a posteriori – de discordances entre les tableaux de suivi tenus par le salarié et la réalité des jours travaillés démontre que l’employeur n’a pas assumé la responsabilité qui était la sienne. Il n’a pas pu non plus, par voie de conséquence, s’assurer du respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires.
Des sanctions lourdes… et des arguments à faire valoir pour l’employeur
Dans les deux cas, la sanction est la même : c’est la nullité du forfait jours qui est prononcée. Soulignons qu’une solution identique serait apportée si l’employeur n’avait pas satisfait à l’obligation d’organiser (au moins) une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer notamment sa charge de travail.
Les conséquences financières peuvent être lourdes puisque l’annulation de la convention de forfait entraine nécessairement le retour au régime de droit commun, c’est-à-dire au décompte horaire du temps de travail, au paiement majoré de toutes les heures supplémentaires, et à l’attribution de la contrepartie obligatoire en repos en cas de dépassement du contingent annuel d’heures supplémentaires. Or, dans ce domaine, la charge de la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties, le salarié devant simplement présenter des éléments suffisamment précis : un tableau de décompte, des relevés de mails, des attestations… seront ici considérés comme suffisants (Cass. soc. 14 décembre 2022, n° 21-18.139).
Il appartiendra ensuite à l’employeur de répondre à ces éléments en produisant ses propres documents de décompte horaire du temps de travail… qui seront toutefois inexistants si l’entreprise a cru appliquer une convention de forfait en jours. En cas de litige, la probabilité d’une condamnation est donc élevée.
Face à une éventuelle nullité de la convention de forfait, l’employeur a également des arguments à faire valoir. D’une part, il peut argumenter sur l’assiette de la rémunération : la rémunération contractuelle ayant été établie en contrepartie de la convention individuelle de forfait en jours (et des sujétions particulières que celle-ci suppose), l’anéantissement de celle-ci devrait emporter celui de la clause de rémunération. En d’autres termes, le salarié ne devrait pas pouvoir prétendre au maintien du quantum de la rémunération initialement convenue.
Par ailleurs, il faut tirer toutes les conséquences de l’absence de validité de la convention de forfait, l’employeur peut donc prétendre au remboursement par le salarié des jours de repos octroyés « à tort » au titre de la convention de forfait en jours invalidée (Cass. soc., 6 janvier 2021, n°17-28234 ; voir « Inopposabilité du forfait en jours : l’arroseur … arrosé ? »).
Pour éviter les risques, la vigilance s’impose. Le forfait jours doit être réellement et activement suivi par l’employeur, en procédant notamment à un contrôle systématique des tableaux de décompte établis le cas échéant par le salarié, dans le but d’identifier en temps réel les éventuels écarts ou anomalies, d’en comprendre la cause et de les régulariser.