Le contexte

Depuis 2021, la Chambre sociale de la Cour de cassation applique au contentieux prud’homal le principe selon lequel le délai de prescription dépend de la nature de la créance invoquée (Cass. soc., 30 juin 2021, n°18-23.932). Ce principe n’avait cependant pas été retenu pour les actions en reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail (Cass. soc., 11 mai 2022, n°20-18.084  ; Cass. soc., 11 mai 2022, n°20-14.42), laissant subsister un doute sur le sort des délais de prescription applicables aux demandes subséquentes à cette action en requalification. Cette imprécision concernait notamment les actions en requalification de contrats de prestation de services en contrats de travail.

Plusieurs arrêts récents confirment que ce principe a vocation à être appliqué, abstraction faite de l’existence de la requalification d’une relation juridique.

Par 4 arrêts rendus en ce début d’année 2025 (Cass. soc. 15 janvier 2025, n°23-11.765  ; Cass. soc., 12 févr. 2025, n°23-18.876, n°23-10.806 et n°23-15.667), la chambre sociale confirme sa jurisprudence et élargit l’applicabilité du principe à des situations nécessitant préalablement de « re-qualifier » une situation ou un acte juridique.

Le sort du délai de prescription applicable aux demandes subséquentes à une action en reconnaissance d’une situation de coemploi

Le premier arrêt (Cass. soc. 15 janvier 2025, n°23-11.765), portant sur le coemploi, confirme cette tendance. Cet arrêt conclut, au-delà de la question du point de départ de la prescription en présence d’une fraude, que ce délai de l’action en reconnaissance d’une situation de coemploi se prescrit par 5 ans. Toutefois, et c’est l’apport majeur de cet arrêt, la chambre sociale statue également sur le sort du délai de prescription applicable aux demandes subséquentes à cette action.

Autrement dit, quelle prescription appliquer aux demandes indemnitaires formulées en sus de l’action en reconnaissance de l’existence d’une situation de coemploi ?

En synthèse, l’arrêt, en application du principe selon lequel le délai de prescription est déterminé par la nature de la créance, confirme qu’il convient d’adopter une logique distributive des prescriptions : une fois que le salarié connaît ses droits, bien que le délai de prescription pour une action en co-emploi soit de 5 ans, chaque demande indemnitaire subséquente se voit appliquer son propre délai de prescription à compter du même point de départ.

Le sort du délai de prescription applicable aux demandes subséquentes à une action en requalification du contrat

Les arrêts du 12 février 2025 reprennent cette logique distributive en l’appliquant, cette fois-ci, à deux situations nécessitant une fois encore que soit, en premier lieu, « re-qualifiée » une relation juridique. Ces arrêts statuent notamment sur :

Dans ces deux espèces, et tout particulièrement la seconde, la Cour de cassation fait une application très explicite de cette logique : cassant l’arrêt d’appel, la chambre sociale précise que « l’action tendant à faire juger que la rupture de la relation de travail, ultérieurement requalifiée en contrat à durée indéterminée, s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que les demandes en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, qui portent sur la rupture du contrat de travail, sont soumises à la prescription annale de l’article L. 1471-1, alinéa 2, du code du travail »

En clair : peu important l’existence d’une intervention judiciaire pour « déqualifier » ou « requalifier » une relation juridique, chaque créance doit être soumise à son propre délai de prescription à compter de la connaissance de ses droits par le demandeur.

Ces arrêts conduisent selon nous à ce que la même logique soit appliquée aux actions en reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail, et ce malgré le silence gardé jusqu’à aujourd’hui par la chambre sociale sur ce sujet spécifique (Cass. soc., 11 mai 2022, n° 20-18.084 et Cass. soc., 11 mai 2022, n° 20-14.421). C’est bien, tel que le prévoit l’attendu de ces arrêts, à la date de la cessation du contrat litigieux que le demandeur à la requalification connait l’ensemble de ses droits. Inévitablement, c’est donc à cette date que tous les délais de prescription applicables commencent à courir, créance par créance.

En synthèse et en pratique, le praticien doit appliquer une logique distributive des prescriptions. Chacune des demandes formulées doit être examinée séparément afin de lui opposer, le cas échéant, la prescription applicable en fonction de la nature de la créance.

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