Avec l’admissibilité des moyens de preuves illicites puis déloyaux, le droit de la preuve en matière prud’homale vient de connaître des évolutions importantes (voir : « [podcast] Une preuve déloyale peut être recevable ! » ; « L’employeur peut-il utiliser des moyens de preuve déloyaux ? » ; « Facebook : l’employeur peut-il licencier pour des photos ou messages privés ? »).  

C’est dans ce contexte que la Cour d’Appel d’Amiens (6 mai 2024, n°23/01099) a dû répondre à la question suivante : l’enregistrement clandestin de l’employeur lors de l’entretien préalable est-il une preuve recevable bien que déloyale ?

L’enregistrement clandestin de l’entretien préalable devant le juge prud’homal

Dans cet arrêt, un salarié versait aux débats la retranscription, dans un procès-verbal de constat d’huissier, des échanges intervenus lors de son entretien préalable au moyen d’un enregistrement audio clandestin.

L’employeur avait obtenu que cette pièce soit écartée des débats devant le Conseil de Prud’hommes. Le salarié sollicitait, en cause d’appel, l’infirmation du jugement sur ce point, et donc la possibilité de se prévaloir de cette pièce au soutien de la contestation de son licenciement pour faute grave. Il soutenait que son droit à la preuve ne portait pas atteinte de manière disproportionnée au droit à un procès équitable de l’employeur.

Après avoir rappelé que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention de la preuve ne conduit pas (plus) nécessairement à l’écarter, la Cour d’Appel a rejeté cet argument au motif que le salarié avait été informé, par le biais de sa convocation, de la possibilité de se faire assister lors de l’entretien préalable par une personne de son choix. L’assistance par une telle personne permet de retranscrire les échanges et ce, de manière loyale.

La Cour conclut : l’enregistrement clandestin de l’employeur lors d’un entretien préalable (au licenciement) n’est donc pas indispensable à l’exercice du droit de la preuve du salarié et n’est pas proportionné au but poursuivi. Une telle retranscription doit par conséquent être écartée.

Un rappel des strictes conditions de recevabilité d’une preuve déloyale

Il s’agit donc ici d’une décision satisfaisante, qui rappelle les conditions de recevabilité de la preuve déloyale et démontre qu’il n’est pas donné aux salariés un blanc-seing à tout enregistrement réalisé à l’insu de l’employeur.

La jurisprudence continue de mettre en balance le droit à la preuve et le droit à un procès équitable et/ou le droit au respect à la vie privée pour déterminer si l’atteinte à ces derniers est proportionnée au but recherché et si la production de la preuve est indispensable à l’exercice de son droit.

A cet égard, la Cour de Cassation a récemment jugé que le salarié peut utiliser un enregistrement clandestin effectué sur son téléphone portable lors d’une dispute avec son employeur, dans une espèce où cette preuve a été jugée indispensable à l’exercice de son droit à voir reconnaître le caractère professionnel de l’accident et la faute inexcusable de son employeur (Cass. civ. 2e, 6 juin 2024, n°22-11.736).

La saga des enregistrements clandestins est donc loin d’être terminée.