Contentieux

Les principes initiaux : une preuve libre, sauf illicéité ou déloyauté

Aux termes de l’article 1358 du Code civil, la preuve peut être apportée par tout moyen, à l’exception des cas où la loi en dispose autrement. La Cour de cassation a pu en déduire qu’en matière prud’homale, la preuve est libre (Cass. soc., 27 mars 2001, n°98-44.666). Toutefois, cette liberté n’est pas sans limites.

La Cour de cassation distinguait initialement deux types de preuves qui ne pouvaient pas être utilisées lors d’un contentieux.

Tout d’abord : la preuve illicite. Il s’agit d’une preuve obtenue en violation des conditions de licéité posées par la loi (exemple : atteinte à la vie privée). L’illicéité d’un moyen de preuve entraîne son rejet des débats lors d’un contentieux (par exemple, une filature organisée par l’employeur pour contrôler et surveiller l’activité d’un salarié constitue un moyen de preuve illicite dès lors qu’elle implique nécessairement une atteinte à la vie privée de ce dernier : Cass. soc., 26 nov. 2002, n°00-42.401).

Ensuite, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a consacré un principe de loyauté de la preuve en application duquel une preuve déloyale, c’est-à-dire obtenue à l’insu de l’intéressé ou au moyen d’une manœuvre ou d’un stratagème, devait systématiquement être écartée des débats et donc être déclarée irrecevable (Cass. ass. plén., 7 janv. 2011, nº 09-14.316). Par exemple, en application du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, l’employeur ne peut pas procéder à l’écoute des enregistrements réalisés par un salarié sur son dictaphone personnel en son absence ou sans qu’il ait été dûment appelé (Cass. soc., 23 mai 2012, n°10-23.521).

Remarque

Lorsque l’employeur ne disposait d’aucun autre moyen de preuve que celui jugé irrecevable car illicite ou déloyal, la sanction prononcée sur son fondement était nécessairement injustifiée, et ce même si la matérialité des faits était constatée.

Cette distinction entre preuve illicite et preuve déloyale n’existe toutefois pas au niveau européen. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) ne consacre pas de principe de loyauté dans l’administration de la preuve, et considère qu’une preuve illicite peut être recevable si elle s’avère indispensable au succès de la prétention de celui qui s’en prévaut, et si l’atteinte qui en résulte est strictement proportionnée au but poursuivi.  

Première évolution : recevabilité de la preuve illicite

En 2020, la Cour de cassation a fait un premier pas vers un alignement de sa jurisprudence avec celle de la CEDH puisqu’elle a reconnu, s’agissant d’une preuve illicite, qu’elle peut être déclarée recevable si, à l’issue d’une mise en balance des droits en cause, celle-ci s’avère être indispensable au succès de la prétention de celui qui s’en prévaut et si l’atteinte qui en résulte est strictement proportionnée au but poursuivi.

Elle a par exemple jugé que la production de captures d’écran du compte Facebook d’une salariée, bien que constituant une atteinte à sa vie privée (donc illicite), est recevable lorsqu’elle indispensable pour établir le grief de divulgation d’une information confidentielle de l’entreprise auprès de professionnels susceptibles de travailler pour des entreprises concurrentes, et proportionnée au but poursuivi (« défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la confidentialité de ses affaires ») (Cass. soc., 30 septembre 2020, n°19-12.058, voir « Facebook : l’employeur peut-il licencier pour des photos ou messages privés ? »). Soulignons qu’en l’espèce, l’employeur n’avait pas recueilli la preuve par stratagème : la preuve était donc illicite mais non déloyale.

Plus récemment, la Cour de cassation a jugé, s’agissant d’un dispositif de vidéosurveillance dont les finalités et la base juridique n’avaient pas été portées à la connaissance de la salariée, qu’en présence d’une preuve illicite, le juge doit :

  1. d’abord s’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur, vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance (et son ampleur),
  2. puis rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié (Cass. soc., 8 mars 2023 n°21-17.802).

Dans cette affaire et à l’issue du contrôle, il a été jugé que l’atteinte était disproportionnée.

Seconde évolution : recevabilité de la preuve déloyale

Dans un revirement de jurisprudence en date du 22 décembre dernier (Cass. ass. plén., 22 décembre 2023, n°20-20.648), la Cour de cassation admet pour la première fois, sous certaines conditions, qu’une partie peut utiliser une preuve obtenue de manière déloyale pour faire valoir ses droits dans un litige civil. Elle revient ainsi sur le principe de loyauté dans l’administration de la preuve.

En l’espèce, un employeur avait produit aux débats des transcriptions d’enregistrements clandestins réalisés à l’insu d’un salarié afin de justifier son licenciement pour faute grave. La décision de la Cour d’appel, qui avait écarté ces enregistrements obtenus de manière déloyale, est censurée.  Selon la Cour de cassation, les juges du fond auraient dû procéder à un contrôle de proportionnalité.

Ce faisant, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, unifie les deux régimes, en transposant au traitement de la preuve déloyale la méthode de la mise en balance issue de la jurisprudence européenne, déjà appliquée en matière de preuve illicite.

Ainsi, si le moyen de preuve déloyal utilisé par l’employeur est indispensable à l’exercice de ses droits et s’il n’est pas susceptible de porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse (vie privée etc.), il peut être recevable et utilisé contre le salarié devant un juge civil.

Attention cependant car l’inverse est aussi vrai : l’employeur devra redoubler de vigilance dans ses relations avec les salariés !