Contentieux

Une prise en compte des témoignages anonymes sous conditions

Lorsqu’un salariĂ© fait l’objet de reproches fondĂ©s sur des tĂ©moignages Ă©manant de collègues souhaitant rester anonymes, ces Ă©lĂ©ments peuvent ĂŞtre pris en compte lors d’un contentieux prud’homal sous certaines conditions (voir « Anonymat et licenciement font-ils bon mĂ©nage ? Â».

Jusqu’à rĂ©cemment, la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation refusait au juge la possibilitĂ© de juge fonder sa dĂ©cision uniquement ou de manière dĂ©terminante sur des tĂ©moignages anonymes (Cass. soc., 4 juillet 2018, n°17-18.241). Elle permettait toutefois leur prise en compte, sous rĂ©serve du respect de 2 conditions :

  1. L’anonymisation est postérieure à la collecte : l’employeur doit connaître l’identité des auteurs au moment de la réception des témoignages. et Il procède ensuite à l’anonymisation pour les protéger (le cas échéant à leur demande).
  2. Les tĂ©moignages sont corroborĂ©s par d’autres Ă©lĂ©ments permettant au juge d’en Ă©valuer la crĂ©dibilitĂ© et la pertinence (Cass. soc., 19 avr. 2023, n° 21-20.308).

Un assouplissement bienvenu !

Dans un arrĂŞt du 19 mars 2025  (Cass. soc., 19 mars 2025, n° 23-19.154), la Cour de cassation assouplit toutefois cette seconde condition : elle admet que des tĂ©moignages anonymes non corroborĂ©s puissent ĂŞtre valablement pris en compte, Ă  condition que leur utilisation ne porte pas atteinte au caractère Ă©quitable de la procĂ©dure.

Dans l’affaire en question, un salarié licencié pour faute grave contestait la validité de deux constats d’huissier contenant des témoignages anonymes dénonçant son comportement agressif. La cour d’appel avait jugé ces constats dénués de valeur probante en l’absence d’éléments complémentaires. La Cour de cassation casse cette décision, estimant qu’il revient au juge d’apprécier, dans chaque cas, si l’anonymisation est justifiée et proportionnée à l’objectif poursuivi, notamment à la lumière des principes du droit à un procès équitable et du droit à la preuve.

En effet, le droit Ă  la preuve peut justifier la production d’Ă©lĂ©ments portant atteinte au principe d’Ă©galitĂ© des armes Ă  condition :

  • que cette production soit indispensable Ă  son exercice
  • et que l’atteinte soit strictement proportionnĂ©e au but poursuivi.

La Cour de cassation rappelle que l’utilisation de témoignages anonymes peut être admise dès lors qu’elle répond à une nécessité impérieuse, comme la protection de la santé ou de la sécurité des salariés témoins.

A cet Ă©gard, il convient de souligner que l’avocat gĂ©nĂ©ral, dans son avis, a soulignĂ© plusieurs Ă©lĂ©ments de contexte devant ĂŞtre pris en considĂ©ration :

  • Les tĂ©moignages ont Ă©tĂ© recueillis par un huissier de justice dans des conditions garantissant leur fiabilitĂ©.
  • La gravitĂ© des faits reprochĂ©s (violences, menaces, intimidations) justifiait la crainte lĂ©gitime des tĂ©moins.
  • L’employeur avait dĂ©jĂ  dĂ» adapter les horaires du salariĂ© concernĂ© face au malaise exprimĂ© par ses collègues.
  • En vertu de son obligation de sĂ©curitĂ© (C. trav., art L. 4121-1), l’employeur devait agir Ă  la fois pour sanctionner le comportement fautif et pour protĂ©ger les salariĂ©s tĂ©moins.

A noter Ă©galement que l’employeur avait proposĂ© de produire aux seuls membres de la Cour d’appel les originaux, non anonymisĂ©s, des constats d’huissier. NĂ©anmoins, la Cour de cassation ne s’est pas prononcĂ©e sur ce point.

En conclusion, l’usage de témoignages anonymes dans une procédure disciplinaire reste encadré, mais les juges doivent désormais effectuer un véritable contrôle de proportionnalité.

Plus la protection des témoins s’avère nécessaire, plus la prise en compte de ces témoignages sera légitime, même en l’absence d’éléments de preuve complémentaires.

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