Protection sociale

A l’issue du rejet par l’Assemblée nationale des deux motions de censure, déposées après l’utilisation par le gouvernement de l’article 49.3 de la Constitution pour adopter le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (PLRFSS), la réforme des retraites est désormais considérée comme adoptée par le Parlement.

Si l’examen du texte par le Conseil constitutionnel peut encore aboutir à des évolutions – la constitutionnalité de l’insertion de l’index sénior dans le véhicule législatif qu’est le PLRFSS est l’une des questions posées – les entreprises doivent désormais se préparer à faire face aux effets induits par cette réforme, afin de les identifier, de les anticiper et de mettre en place les mesures qu’ils imposent.

Les effets de la réforme pour l’entreprise

La loi, conçue comme une réforme « paramétrique », ne modifie pas le mode de calcul des retraites, mais ajuste les bornes, en particulier d’âge et de durée d’assurance, qui déterminent le moment du départ et le montant des pensions.

La loi opère un recul de l’âge à partir duquel la liquidation de la pension de sécurité sociale est possible, à raison de trois mois par génération à partir du 1er septembre 2023, pour aboutir à un âge légal de 64 ans à l’horizon 2030. Parallèlement, la durée d’assurance requise pour bénéficier d’une pension complète, que la réforme Touraine de 2014 allongeait déjà progressivement, passera à 43 ans plus vite que prévu, dès 2027.

L’effet cumulé de ces mesures conduit, sous réserve des cas particuliers que la réforme étend ou simplifie (carrières longues, handicap, pénibilité…), à un allongement de la durée de la carrière professionnelle du salarié ; elle implique donc de maintenir plus longtemps dans l’emploi des salariés plus âgés.

L’exercice est d’autant plus difficile que cet allongement peut s’accompagner, chez certains salariés, par un accroissement de l’usure professionnelle, c’est-à-dire par une dégradation accrue de leur état de santé, que ce soit sur le plan physique (en particulier en cas d’exposition prolongée à des facteurs de risques professionnels) ou psychologique (souvent par désengagement).

L’entreprise doit ainsi s’attendre à constater une augmentation de son turn-over, de l’absentéisme ou encore du nombre d’invalidités, inaptitudes ou maladies professionnelles que les salariés pourraient chercher à faire reconnaître en plus grand nombre pour leur permettre d’accéder à des dispositifs de retraite anticipée. A cela s’ajoutera un alourdissement probable de ses contributions à ses régimes collectifs de prévoyance et de santé.

L’entreprise doit s’attendre à constater une augmentation de son turn-over, de l’absentéisme ou encore du nombre d’invalidités, inaptitudes ou maladies professionnelles (…)

Ces risques sociaux méritent d’être évalués par l’entreprise et justifieront la mise en œuvre d’une politique anticipative de gestion de l’emploi

Ces risques sociaux méritent d’être évalués par l’entreprise, dans le cadre d’un diagnostic combinant pyramide des âges et facteurs identifiés d’usure professionnelle, et justifieront la mise en œuvre d’une politique anticipative de gestion de l’emploi.

Cette démarche sera d’autant plus nécessaire qu’elle aidera l’entreprise, dans le cadre de « l’index séniors » créé par la réforme, à afficher un bon niveau de résultat aux indicateurs d’emploi des séniors qu’elle devra publier annuellement, si elle emploie au moins 300 salariés.

Des outils à mobiliser

Nombreux sont les dispositifs, déjà existants ou créés par la loi, dont l’entreprise peut se saisir pour favoriser l’embauche, le maintien dans l’emploi ou l’amélioration des conditions de travail des séniors.

Ces outils peuvent contribuer :

  • à embaucher davantage de séniors. La loi permettra à cet effet, à titre expérimental et à défaut d’adoption d’un autre dispositif par les partenaires sociaux au niveau interprofessionnel, la conclusion de « contrat de fin de carrière » avec des salariés âgés de 60 ans ou plus et indemnisés au titre de l’assurance chômage ; ce contrat pourra être rompu par « mise à la retraite » sans attendre le 70ème anniversaire. Ce contrat s’accompagnerait, dans des conditions restant à déterminer, d’une exonération de cotisations d’allocations familiales la première année, au titre de l’embauche en CDI (hors cumul emploi-retraite) d’un demandeur d’emploi âgé d’au moins 60 ans ;
  • à aménager les emplois, notamment ceux des salariés les plus exposés aux facteurs de risque professionnel, pour favoriser leur maintien au poste de travail. Il peut s’agir d’aménager les conditions de travail, avec par exemple un développement de la polyvalence, ou encore les horaires ou la durée du travail. La loi nouvelle encourage notamment, pour les personnes en bénéficiant, l’utilisation du compte personnel de prévention (C2P) pour réduire le temps de travail en fin de carrière, en limitant cette possibilité d’utilisation avant l’âge de 60 ans ;
  • à faciliter la mobilité professionnelle vers de nouveaux emplois, soit pour éviter les phénomènes de démotivation, soit pour assurer une transition vers des métiers moins pénibles. Les outils mobilisables sont multiples : formation, abondement au CPF, VAE, bilan de compétence, reconversion ou promotion par alternance… A cet égard, on notera que la réforme crée une nouvelle modalité d’utilisation du C2P, pour le financement d’une reconversion professionnelle. La loi crée également un « fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle » (FIPU), qui pourra aider les entreprises à financer des actions (de sensibilisation, de prévention, de formation, de reconversion ou de prévention de la désinsertion professionnelle) à destination des salariés particulièrement exposés aux « facteurs de risques ergonomiques » (manutentions manuelles de charges, postures pénibles et vibrations mécaniques) ;
  • à valoriser les parcours professionnels des salariés séniors et à capitaliser sur leur compétence et leur expérience, notamment par la transmission des savoirs (constitution d’équipes ou de binômes intergénérationnels, tutorat…).

En outre, la loi améliore les dispositifs permettant d’assurer une transition entre activité et retraite :

  • la retraite progressive, qui permet de conserver une activité à temps partiel tout en liquidant une partie de sa retraite, ne pourra être refusée par l’entreprise que si celle-ci justifie, dans une réponse écrite et motivée sous un délai de deux mois, que la durée de travail souhaitée est incompatible avec l’activité économique de l’entreprise ;
  • le cumul emploi-retraite, lorsque le salarié remplit les conditions du cumul intégral, permettra à l’intéressé de se constituer désormais de nouveaux droits à pension, sous réserve que la reprise d’activité, si elle a lieu chez le dernier employeur, intervienne au plus tôt six mois après la liquidation de la retraite.

Les mesures mobilisables sont donc nombreuses et il importera de les envisager avant que les premiers effets de l’allongement des carrières ne se fassent sentir dans l’entreprise. Pour les entreprises soumises à l’obligation de négocier sur la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP), l’emploi et l’amélioration des conditions de travail des séniors deviennent des thèmes obligatoires de négociation périodique ; à cet égard, les outils retenus pour concrétiser la gestion anticipative de l’entreprise pourront naturellement s’inscrire dans l’accord GEPP.

La loi s’attache à ce que les départs négociés de salariés âgés au cours des mois qui précèdent l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite ne soient pas perçus comme une option pour l’entreprise ; à cet effet, une contribution à la charge de l’employeur de 30% sur les indemnités de rupture conventionnelle homologuée exonérées de cotisations de sécurité sociale est instaurée et remplacera le forfait social (20%) auparavant applicable, et ce quel que soit l’âge du salarié. Elle s’appliquera au titre des ruptures conventionnelles dont la date de rupture du contrat de travail intervient à compter du 1er septembre 2023 et des éventuelles mises à la retraite.