La Cour de cassation vient enfin de trancher une question qui recevait des réponses divergentes de la part des Juridictions alors même qu’elle se pose de manière très fréquente et recèle des enjeux majeurs pour les employeurs.
La situation
Le médecin du travail déclare un salarié inapte à son emploi, et assortit cet avis de la mention suivant laquelle « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » ou « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » (C. trav., art. L. 1226-2-1 et L. 1226-12).
La question
Dans un tel cas, l’employeur est-il tenu de recueillir l’avis du CSE prévu par les articles L. 1226-2 et L. 1226-10 du Code du travail (applicables respectivement à l’inaptitude d’origine non professionnelle et à l’inaptitude d’origine professionnelle) ?
Selon toute logique, la réponse à cette question est négative. L’avis du CSE doit être recueilli sur les propositions de reclassement, il n’a donc pas d’objet lorsque l’employeur est dispensé de toute recherche de reclassement.
C’est d’ailleurs ce qu’avaient admis plusieurs Cours d’appel en jugeant que dans une telle situation, la consultation du CSE ne s’impose pas (CA Riom, 3 avril 2018 ; CA Paris 4 avril 2020 ; CA Lyon 5 novembre 2021 ; CA Fort-de-France 17 décembre 2021).
Mais d’autres Cours d’appel avaient admis au contraire que l’obligation de consultation du CSE ne connaît pas d’exception, y compris dans ce cas précis (CA Chambéry, 22 octobre 2020 ; CA Bourges 19 novembre 2021).
La solution
Dans une affaire où la consultation incombait encore aux DP, la Cour de cassation vient de trancher, a priori définitivement, cette question : « lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi, l’employeur, qui n’est pas tenu de rechercher un reclassement, n’a pas l’obligation de consulter les délégués du personnel » (Cass. soc., 8 juin 2022, n°20-22.500, FS-B).
On ne peut que saluer cette prise de position.
Certes, dans une interprétation avancée des textes, il a été considéré par la Cour de cassation que la consultation du CSE s’impose, même lorsque l’employeur n’a aucune proposition de reclassement à faire au salarié (Cass. soc., 30 octobre 1991, n°87-43.801 ; Cass. soc., 22 juin 1994, n° 91-41.610 ; 30 septembre 2020, n° 19-16.488 ; contra : Cass. soc. 5 octobre 2016, n° 15-16.782).
Mais cette solution a été adoptée dans des cas où l’employeur n’était pas dispensé de toute recherche de reclassement.
A contrario, lorsque l’employeur est dispensé, par les termes mêmes de l’avis du médecin du travail, de toute recherche de reclassement (C. trav., art. L. 1226-2-1 et L. 1226-12), la consultation du CSE ne s’impose pas.
Lorsque l’employeur est dispensé, par les termes mêmes de l’avis du médecin du travail, de toute recherche de reclassement, la consultation du CSE ne s’impose pas
La solution adoptée par la Cour de cassation doit être saluée en ce qu’elle libère les entreprises d’une contrainte formelle inutile, doublée d’un risque juridique injustifié : en cas de licenciement, le défaut ou l’irrégularité de la consultation sont sanctionnés au même degré qu’une absence de cause réelle et sérieuse (art. L. 1226-15 al. 2 ; Cass. soc. 30 septembre 2020, n° 19-11.974).
Remarque : cet arrêt a été rendus sur la base des articles L. 1226-10 et –12 du Code du travail « dans leur rédaction issus de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 », soit à l’époque où la consultation incombait aux DP et non du CSE. Cela étant, il n’y a aucune raison de penser que la solution soit différente en raison de la substitution du CSE aux DP, les dispositions concernées étant par ailleurs inchangées.
Avertissement
La situation envisagée ici implique bien que le médecin du travail emploie l’une des formules légales conduisant à dispenser l’employeur du reclassement (C. trav., art. L. 1226-2-1 et L. 1226-12) sans la modifier ni l’altérer par une précision ou une réserve.
À défaut, l’avis du médecin du travail ne dispense pas l’employeur de rechercher un reclassement, ni donc de consulter le CSE.