Statut collectif

La loi 2023-1107 du 29 novembre 2023 a instauré une nouvelle obligation de négociation sur le partage de la valeur en cas d’augmentation exceptionnelle du bénéfice.

Cette nouvelle obligation concerne les entreprises dont le seuil d’effectif de 50 salariés est atteint depuis 5 années civiles consécutives et disposant d’au moins un délégué syndical.

La question essentielle (la rĂ©ponse conditionne l’obligation de tenir cette nouvelle nĂ©gociation obligatoire) concerne la dĂ©finition de « l’augmentation exceptionnelle du bĂ©nĂ©fice Â», Ă©lĂ©ment dĂ©clencheur du partage de la valeur associĂ©.

Comment dĂ©finir cette notion ? Quels Ă©lĂ©ments avoir en tĂŞte au moment d’aborder la nĂ©gociation ?

LA NOTION DE BENEFICE

Cette notion est prĂ©cisĂ©ment dĂ©finie par la loi : le bĂ©nĂ©fice dont il est question est le bĂ©nĂ©fice net fiscal, tel qu’il est retenu dans le cadre de la formule lĂ©gale de la participation. Il n’est pas possible de retenir une autre notion comptable ou financière dans le cadre de cette nĂ©gociation.

LA NOTION D’AUGMENTATION EXCEPTIONNELLE

Marge de manĹ“uvre des nĂ©gociateurs. – La loi prĂ©voit que la dĂ©finition de l’augmentation exceptionnelle du bĂ©nĂ©fice « prend en compte des critères tels que :

  • taille de l’entreprise,
  • secteur d’activitĂ©,
  • survenance d’une ou de plusieurs opĂ©rations de rachat d’actions de l’entreprise suivie de leur annulation dès lors que ces opĂ©rations n’ont pas Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ©es des attributions aux salariĂ©s dans les conditions prĂ©vues aux articles L. 225-197-1 Ă  L. 225-197-5, L. 22-10-59 et L. 22-10-60 du code de commerce,
  • bĂ©nĂ©fices rĂ©alisĂ©s lors des annĂ©es prĂ©cĂ©dentes
  • Ă©vĂ©nements exceptionnels externes Ă  l’entreprise intervenus avant la rĂ©alisation du bĂ©nĂ©fice Â».

Il ressort du texte que les nĂ©gociateurs ne sont pas contraints de tenir compte de tous les critères lĂ©gaux ; il s’agit donc assurĂ©ment de critères alternatifs.

Par ailleurs, une lecture littĂ©rale du texte devrait permettre de considĂ©rer que la liste des critères n’est pas limitative (en raison de l’utilisation de l’expression « tels que Â»). L’application des critères lĂ©gaux est une base indiscutable de discussion pour les nĂ©gociations.

Hormis cette liste de critères légaux, les négociateurs sont libres de fixer le seuil de déclenchement de ce qu’ils considèrent être une augmentation exceptionnelle du bénéfice.

Cette augmentation exceptionnelle pourrait ainsi reposer, par exemple, sur un pourcentage d’augmentation du bénéfice ou sur un niveau de bénéfice déterminé à atteindre.

Si les partenaires sociaux bĂ©nĂ©ficient d’une grande libertĂ© dans la dĂ©finition du caractère exceptionnel de l’augmentation, l’objet de la loi doit nĂ©anmoins ĂŞtre respectĂ© : l’augmentation doit rester… exceptionnelle.

Ainsi, dans tous les cas, l’entreprise devra ĂŞtre en mesure de justifier de ce que l’augmentation fixĂ©e sort de l’ordinaire : il doit donc nĂ©cessairement s’agir d’un niveau de bĂ©nĂ©fice très rarement – voire jamais – atteint au cours des annĂ©es antĂ©rieures. Il convient ici de distinguer ce qui relève simplement d’une bonne performance et ce qui relève d’une performance exceptionnelle.

Ainsi, si les partenaires sociaux décident de définir l’augmentation exceptionnelle du bénéfice par le biais d’un pourcentage, le pourcentage retenu devra l’être au regard des écarts constatés au cours des années précédentes. Si une entreprise donnée a réalisé un bénéfice stable (+ ou – 10 %) sur les 10 dernières années par exemple, la négociation pourrait considérer que la réalisation d’un bénéfice supérieur à cette fourchette constitue une augmentation exceptionnelle. A l’inverse, s’agissant d’une entreprise connaissant davantage de variations de son bénéfice, une augmentation exceptionnelle dudit bénéfice ne devrait probablement être caractérisée qu’en cas de variation significativement plus importante.

Guide pratique a la nĂ©gociation. – Les entreprises doivent conserver Ă  l’esprit les points suivants lorsqu’elles aborderont cette nĂ©gociation :

  • la mise en place de cette nouvelle obligation de nĂ©gocier intervient dans un contexte oĂą certaines entreprises ont pu rĂ©aliser ce qui a pu ĂŞtre qualifiĂ© de « superprofits Â» (ont Ă©tĂ© Ă©voquĂ©s dans les dĂ©bats parlementaires : « la question des profits exceptionnels rĂ©alisĂ©s par certaines entreprises a Ă©tĂ© prĂ©sente dans le dĂ©bat public depuis quelques mois, tant au niveau national qu’au niveau europĂ©en et international, après l’annonce par certains groupes de rĂ©sultats exceptionnels, dans le domaine des transports et dans le domaine de l’énergie par exemple, contrastant avec d’autres pans de l’économie touchĂ©s par les difficultĂ©s causĂ©es par l’environnement international » ; « enrichissement considĂ©rĂ© comme supĂ©rieur Ă  la normale et dĂ» Ă  des circonstances extĂ©rieures qui font gagner de l’argent Ă  une entreprise sans qu’elle n’ait rien modifiĂ© Ă  sa façon d’opĂ©rer, ni Ă  ses dĂ©cisions stratĂ©giques »).

Il ne s’est donc pas agi de crĂ©er un dispositif de partage de la valeur venant s’ajouter Ă  ceux existants ; l’objectif du lĂ©gislateur consiste uniquement Ă  viser des situations très spĂ©cifiques, exceptionnelles, dans lesquelles les mĂ©canismes classiques de participation et d’intĂ©ressement peuvent ne pas suffire Ă  saisir l’ampleur de la performance comptable rĂ©alisĂ©e ;

  • il s’agit uniquement d’une obligation de nĂ©gocier (loyalement), et non de conclure un accord. Il est donc possible d’adopter un positionnement ferme durant les nĂ©gociations sur le caractère nĂ©cessairement exceptionnel de l’augmentation du bĂ©nĂ©fice, quitte Ă  ce que la nĂ©gociation n’aboutisse pas ;
  • il est crucial d’entamer la nĂ©gociation en ayant une vision prĂ©cise des niveaux de bĂ©nĂ©fice rĂ©alisĂ©s au cours des annĂ©es prĂ©cĂ©dentes ; c’est en effet essentiellement au regard de cet historique que le seuil de dĂ©clenchement de l’augmentation exceptionnelle du bĂ©nĂ©fice pourra ĂŞtre fixĂ©e ;
  • le seuil de dĂ©clenchement de l’augmentation exceptionnelle du bĂ©nĂ©fice doit ĂŞtre prĂ©cis, objectif et vĂ©rifiable.

Pour rappel, cette négociation doit avoir été engagée avant le 30 juin 2024 pour les entreprises déjà dotées d’un accord de participation et d’intéressement. Il s’agit donc d’un sujet à inscrire à l’agenda social si cela n’est pas déjà le cas.