Le contexte
Dans un arrêt du 24 juin 2020 (n°18-25433), la Cour de cassation a :
- rappelé que les possibilités de reclassement du salarié déclaré inapte doivent être recherchées parmi les sociétés dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel
- constaté, qu’en l’espèce, l’employeur était membre d’un groupement dont les sociétés étaient unies par des liens étroits, que figurait sur le site Internet de ce groupement une bourse aux emplois pour les magasins de l’enseigne et que l’employeur n’avait effectué aucune recherche de reclassement au sein de ce groupement,
Pour elle, il s’en déduit l’absence de recherche loyale de reclassement.
Est concerné par cet arrêt un groupement de franchisés dans le secteur de la distribution alimentaire structuré en réseau de magasins ayant passé un contrat d’enseigne ou de franchise avec la structure nationale propriétaire de la marque.
Le périmètre pour le reclassement du salarié inapte dans un réseau de franchisés : source d’incertitudes juridiques et de contentieux
Se pose, depuis de nombreuses années, dans ce type de configuration, la question du périmètre de la recherche de reclassement lorsqu’un salarié est déclaré inapte.
De manière constante (Cass. soc., 20 février 2008, n°06-45.335 ; Cass. soc., 25 mai 2011, n°10-14.897, Cass. soc., 22 septembre 2016, n°15-13.849 et n°15-22.730), et l’ arrêt du 24 juin 2020 en est encore un exemple, la Cour de Cassation rappelle le même principe général : le reclassement du salarié déclaré inapte à son poste doit être recherché « parmi les Sociétés dont les activités, l’organisation ou le lien d’exploitation permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel ».
Il était ainsi communément admis qu’il s’agissait de donner à la recherche de reclassement non seulement la dimension légale et capitalistique du groupe à proprement parler, mais également une dimension sociale et organisationnelle, utile notamment pour l’hypothèse du réseau de franchise dans lequel la notion de groupe, au sens juridique du terme (L.233-1 et s. du code de commerce) n’est pas présente, les différentes sociétés étant juridiquement indépendantes.
Dans ce cadre, les juridictions du fond recherchaient, au cas par cas, s’il existait, au-delà des seuls liens juridiques et financiers entre les structures, des indices concrets démontrant la possibilité d’une permutation du personnel. Tel était le cas en l’espèce, selon la Cour d’appel de Toulouse et la Cour de Cassation, puisqu’il avait été relevé l’existence au sein de ce Groupement de « liens étroits » entre les sociétés et d’une « bourse aux emplois pour les magasins à l’enseigne I. » sur le site internet du Groupement franchiseur.
Cette position était extrêmement critiquable en ce qu’elle faisait supporter à des points de vente indépendants, souvent de taille modeste, les mêmes obligations que celles imposées à un groupe de dimension nationale bien mieux structuré, ce qui était manifestement excessif et inadapté à la réalité de ces PME.
Quoi qu’il en soit, en pratique, cela imposait, à titre de précaution, à ces points de vente de se constituer la preuve d’une recherche de reclassement « externe » notamment auprès de leur franchiseur et des points de vente (notamment les plus proches) appartenant à la même enseigne. Ces démarches s’avéraient en pratique aussi inefficaces qu’inutiles au regard des réels souhaits de reclassement des salariés… certains allant même, comme en l’espèce, jusqu’à interroger leurs concurrents locaux dans le cadre d’une aide au retour à l’emploi, ce qui n’avait pas été retenu.
Un périmètre désormais mieux défini par les textes : vers la fin du contentieux ?
Qu’on se rassure, cette époque semble heureusement sur le point de s’achever et le contentieux du périmètre de la recherche de reclassement dans les réseaux de franchise devrait naturellement se tarir et s’éteindre.
D’abord, c’est l’introduction, par la Loi n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, des cas de dispenses de reclassement (lorsqu’est présente la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi) qui a considérablement réduit, dans sa globalité, la question et le contentieux du reclassement du salarié déclaré inapte.
Ensuite, avec la modification, par l’Ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales, des articles L.1226-2 et L.1226-10 du Code du travail, c’est le périmètre de la recherche de reclassement qui est désormais clairement défini, ce qui vient éteindre la problématique du périmètre à retenir dans le réseau de franchise.
En effet, il est aujourd’hui indiqué que le reclassement doit être recherché dans le groupe entendu comme « le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce ». C’est ainsi un retour, plus que raisonnable et gage d’une plus grande sécurité juridique, qui est fait à la seule notion de groupe au sens légal et capitalistique.
Cette définition concerne tous les licenciements pour inaptitude notifiés depuis le 24 septembre 2017, pour lesquels la question du périmètre ne se pose donc plus. Dans l’arrêt du 24 juin 2020, le licenciement avait été notifié le 25 septembre 2015, soit deux ans avant la modification législative. Les délais des procédures judiciaires expliquent cette décision qui est donc à classer au rang des « reliques » de l’histoire du droit du travail.