Contrat de travail

Le détachement de fonctionnaires inaugure une série d’articles sur cette curiosité que peut parfois constituer la présence de fonctionnaires au sein d’organismes de droit privé. Cette situation conduit à une application distributive du droit du travail et du droit de la fonction publique. De fait, l’employeur doit prendre garde au statut de ces fonctionnaires, dont la présence dans les effectifs n’est que temporaire. Mais qu’on se le dise, et le doute n’est plus permis en matière de fonctionnaires détachés, ces derniers sont bien salariés des structures privées.

Petit aperçu des points auxquels il est nécessaire de prêter attention.

La naissance du contrat de travail

Le détachement des fonctionnaires dans des structures privées est réalisé à la demande des fonctionnaires eux-mêmes. Il ne s’agit pas d’un droit car le détachement doit être réalisé « dans l’intérêt du service ». La procédure est assez simple, ’elle nécessite uniquement un arrêté de détachement (décision de l’autorité administrative dont le fonctionnaire relève). Le détachement peut être :

  • De courte durée, jusqu’à 6 mois non renouvelable
  • De longue durée, jusqu’à 5 ans renouvelable.

Pendant la durée du détachement, le fonctionnaire exerce son activité sous la direction de la structure privée, qui lui verse également sa rémunération. Ainsi, les 3 critères définissant le contrat de travail, à savoir l’exécution d’un travail, la rémunération de ce travail et le lien de subordination, sont satisfaits. C’est ce que considère d’ailleurs la Cour de cassation : « le fonctionnaire mis à la disposition d’un organisme de droit privé pour accomplir un travail pour le compte de celui-ci et sous sa direction est lié à cet organisme par un contrat de travail » (par exemple Cass. soc., 15 juin 2010, n°09-69453 ; Cass. soc., 19 juin 2007, n°06-44436).

La nature de ce contrat de travail reste toutefois incertaine…

La nature de ce contrat de travail reste toutefois incertaine : contrat à durée indéterminée ou contrat sui generis selon certaines juridictions…

A noter que le fonctionnaire détaché continue à bénéficier de ses droits à l’avancement et à la retraite dans son corps d’origine.

L’exécution du contrat de travail

Véritable salarié au sein de la structure de droit privé, le fonctionnaire détaché doit bénéficier de l’ensemble des avantages dont les autres salariés bénéficient.  Le fonctionnaire détaché est donc électeur et éligible (Cass. soc., 23 mai 2006, n°05-60119). Il doit également se voir appliquer les dispositions conventionnelles.

La seule obligation pour l’employeur issue du droit de la fonction publique, est d’établir un rapport (contenant les observations du fonctionnaire détaché), après la tenue d’un entretien individuel, qui sera transmis à l’administration d’origine.

La rupture des relations de travail

Contrairement aux dispositions applicables en droit du travail, à l’issue du détachement (quelle qu’en soit la modalité), le fonctionnaire détaché ne bénéficie pas d’une indemnité de licenciement ou de fin de carrière. Cela s’explique par la circonstance qu’à l’issue de son détachement, le fonctionnaire réintègre son corps d’origine ; il ne subit donc pas de perte d’emploi. Si cet aspect est particulièrement clair, les modalités de fin de détachement le sont nettement moins et méritent toute l’attention de l’employeur de droit privé.

Les modalités de fin de détachement méritent toute l’attention de l’employeur de droit privé.

4 hypothèses doivent être distinguées :

  • Arrivée du terme de l’arrêté de détachement : le contrat de travail prend fin sans que la structure privée n’ait à mettre en œuvre de procédure de licenciement (Cass. soc., 13 mai 2008, n°07-41279).

Même si l’organisme d’accueil s’oppose au renouvellement de l’arrêté de détachement, elle ne doit pas mettre en œuvre de procédure de licenciement (Cass. soc., 13 novembre 2012, n°11-22940). Il faut également retenir que selon le corps d’origine, l’organisme d’accueil doit respecter certaines obligations sur l’information du renouvellement ou du non-renouvellement du détachement.

  • Fin anticipée du détachement à l’initiative du fonctionnaire détaché : s’il est possible de penser que le fonctionnaire qui a demandé la fin anticipée de son détachement, a exprimé une volonté claire et non équivoque de rompre le contrat de travail qui le lie à l’organisme d’accueil, il reste toutefois préférable, comme dans le cas d’une démission d’un salarié de droit privé, que le fonctionnaire exprime par écrit, auprès de l’organisme d’accueil, sa volonté de rompre le contrat de travail.

L’employeur ne saurait donc se contenter de l’information d’une demande de réintégration de la part du fonctionnaire pour le considérer comme démissionnaire, ce d’autant que sa réintégration, dans pareille hypothèse, peut prendre du temps.

  • Fin anticipée du détachement à l’initiative de l’administration d’origine : si l’administration d’origine peut toujours mettre fin au détachement avant le terme fixé par l’arrêté, il ne faut pas oublier que le fonctionnaire détaché est toujours lié par un contrat de travail, auquel il doit donc être mis fin.

En pratique, la question n’a pas vocation à se poser si le fonctionnaire réintègre son corps d’origine avec son plein accord. En revanche, une difficulté peut surgir si le fonctionnaire conteste son retour « anticipé » (et donc la rupture anticipée de sa collaboration avec l’employeur de droit privé qui l’a accueilli durant son détachement). Cette question n’a jamais été tranchée par la Cour de cassation, qui n’a jamais qualifié le motif qui pouvait être invoqué pour mettre un terme au contrat de travail encadrant la collaboration avec l’employeur de droit privé durant la période de détachement ; même si certaines Cours d’appel ont considéré qu’il s’agissait d’un motif de rupture dit « sui generis », l’objet du contrat (constitué par l’arrêt de détachement) disparaissant… preuve d’une certaine incongruité de la situation.

  • Fin anticipée du détachement à l’initiative de l’organisme d’accueil : il faut alors caractériser une cause réelle et sérieuse de licenciement et mettre en œuvre la procédure de licenciement pour rompre le contrat de travail. A défaut de quoi, le fonctionnaire détaché, malgré sa réintégration dans son corps d’origine, pourrait solliciter des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 31 mars 2019, n°08-40137).

Il en est de même lorsque l’organisme d’accueil sollicite le corps d’origine pour mettre fin au détachement de façon anticipée.

En conclusion, il convient de rester vigilant au terme du détachement car plusieurs situations sont porteuses de contentieux éventuels pour les employeurs privés, malgré l’absence de réel préjudice pour le fonctionnaire qui sera réintégré dans son corps d’origine, et ne subira donc pas de période de chômage. Il serait sans doute souhaitable que le législateur se saisisse de ces questions afin de lever toutes les incertitudes existantes.