Être un praticien en droit du travail demande agilité intellectuelle, souplesse et réactivité permanente ainsi que d’être constamment prêt à sortir de sa zone de confort. Le praticien en droit du travail, qui comme tout être humain a droit au repos estival, a dû digérer à la rentrée 2017 d’importantes réformes législatives de même qu’à la rentrée 2018.
Même si les bouleversements peuvent sembler moins importants, la rentrée 2019 apporte, au praticien du droit du travail, son lot d’évolutions et de pertes de repères. Après avoir dû abandonner « ses » instances traditionnelles DP, CE et CHSCT pour la nouvelle instance CSE, pour cette rentrée 2019, le praticien devra prochainement abandonner ses repères en contentieux.
les nouveautés légales et réglementaires de la rentrée 2019
Exit le Tribunal d’Instance et le Tribunal de Grande Instance (lequel avait pourtant, depuis peu, repris une grande importance dans l’esprit du praticien avec l’acquisition par le Pôle Social du TGI du contentieux de sécurité sociale) au profit du nouveau Tribunal Judiciaire (loi n°2019-222 du 23/03/2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ; décrets du 30 août 2019).
Au 1er janvier 2020, les Tribunaux d’Instance vont ainsi fusionner avec les Tribunaux de Grande Instance pour former les Tribunaux Judiciaires. Il est également prévu une fusion des greffes des Conseils de Prud’hommes et des Tribunaux Judiciaires.
Manifestement, il est demandé au praticien du droit du travail d’être prêt à assimiler réforme sur réforme, mais la même exigence n’existe pas chez nos rédacteurs puisque le décret n° 2019-912, du 30 août 2019 (pas du 30 août d’une année du XXème siècle) mentionne les anciennes institutions représentatives du personnel et ne cite pas le Comité social et économique.
L’été 2019 a également vu se concrétiser la réforme de l’assurance chômage et celle des retraites supplémentaires, sans parler du feuilleton des retraites, la réforme étant repoussée à l’été (encore !) 2020 pour que soit mené un temps de concertation avec les différents acteurs (quid de la période de concertation de 18 mois qui vient de s’écouler ?!).
Une nouveauté jurisprudentielle : l’extension du préjudice d’anxiété
Sous l’influence de la Cour de Cassation, le praticien du droit du travail va-t-il devoir prendre toute la dimension de ce vocable tel que défini sur internet, qui nous indique que le praticien est :
- Une personne qui connait la pratique d’un art, d’une technique ;
- Un médecin qui exerce, qui soigne les malades.
Le 11 septembre 2019, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a en effet entendu étendre le préjudice d’anxiété à d’autres substances que l’amiante. Cette décision concerne 700 demandeurs au pourvoi exerçant ou ayant exercé leur activité professionnelle au sein des Houillères du Bassin de Lorraine devenues les Charbonnages de France (Cass. soc., 11 septembre 2019, n°17-24879 à 17-25623).
Pour la Cour de Cassation, « en application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, le salarié qui justifie d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité. »
Or, quelle est la définition d’une substance nocive ou toxique ? Que faire en cas de rapports d’experts divergents ? On connait par exemple la bataille d’experts qui existe à l’égard du glyphosate, présenté par certains comme augmentant les risques de cancer, ce qui est contesté par d’autres.
Les batailles d’experts existent aussi pour les nanoparticules. Pour cette substance récente, tout est à découvrir et que pourra faire un juge si un salarié invoque un préjudice d’anxiété dans ce domaine dont les analyses en sont encore au balbutiement. Faudra-t-il publier un tableau des substances nocives et toxiques, rendant éligibles le salarié au préjudice d’anxiété, en cas de manquement de l’employeur, comme cela existe pour les maladies professionnelles ?
Également, dans cette décision Charbonnages de France, les salariés produisaient des attestations pour démontrer l’insuffisance de leur équipement de sécurité et l’employeur avait lui-aussi des attestations pour démontrer le contraire. Pour les salariés, les masques de protection étaient en quantité insuffisante. Pour l’employeur, tel que repris dans les arrêts d’appel, « les masques à poussières étaient à la portée de chaque agent avant la descente en quantité suffisante. »
Pour la Cour de Cassation, la Cour d’Appel a à tort considéré que l’employeur démontrait qu’il avait effectivement mis en œuvre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des salariés.
Face aux enjeux que rappelle cette décision, il est conseillé à toute entreprise de s’assurer que son document unique de sécurité est à jour et bien évidemment, que les équipements de protection qu’il mentionne sont à la disposition des salariés et bien-sûr sont utilisés. Sur ce point, les juges devront être cohérents : un employeur qui risque une condamnation pour non-respect de l’obligation de sécurité doit, corolairement, pouvoir sanctionner et licencier un salarié réfractaire au port des équipements de protection.