Rupture

Parmi les CPH ayant refusé d’appliquer le « barème Macron », se trouve celui de Troyes, qui, le 13 décembre dernier, a jugé que « L’ article L. 1235-3 du Code du travail, en introduisant un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales, ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi. (…) En conséquences le Conseil juge que ce barème viole la Charte sociale européenne et la Convention n°158 de l’OIT » (CPH Troyes, 13 décembre 2018, n°18/00036 ; voir « Plusieurs CPH écartent l’application du barème d’indemnités de licenciement« , Capstan News du 9 janvier 2019).

Ce jugement a fait l’objet d’un appel devant la Cour d’appel de Reims, qui a rendu son arrêt ce 25 septembre (décision intégrale disponible en téléchargement ci-dessous). Il s’agit, à notre connaissance, du premier arrêt rendu par une Cour d’appel sur ce sujet depuis les avis de la Cour de cassation du 17 juillet.

La motivation de la Cour d’appel de Reims est longue de plusieurs pages. Si, finalement, elle applique le barème en l’espèce, on peut retenir de cet arrêt que, selon la Cour :

  • de façon générale (in abstracto), le barème est conforme aux textes internationaux (elle juge que le dispositif est conventionnel)
  • mais dans le cas particulier du salarié (in concreto) l’application du barème  aurait pu être écartée par le juge « [si le dispositif avait porté] une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné c’est-à-dire en lui imposant des charges démesurées par rapport au résultat recherché ».

Encore aurait-il fallu, selon la Cour d’appel, que ce contrôle de proportionnalité lui soit expressément demandé par le salarié (« La recherche de proportionnalité, entendue cette fois « in concreto » et non « in abstracto », doit toutefois avoir été demandée par le salarié. »).

Or, en l’espèce, le salarié « n’a sollicité qu’un contrôle de conventionnalité « in abstracto « et non « in concreto « . Il ne pourra, en conséquence, qu’être fait application de l’article L. 1235-3 du code du travail ».

La position de la Cour d’appel de Reims n’est donc pas contraire à l’avis de la Cour de cassation du 17 juillet dernier : la conformité « de principe » (in abstracto) du barème aux textes internationaux est reconnue.

En revanche, la Cour d’appel de Reims glisse une subtilité en ouvrant la possibilité d’une approche « in concreto », qui permettrait au salarié de demander au juge de s’affranchir du barème qui, bien que conventionnel dans son principe, porterait, dans son cas particulier, une atteinte disproportionnée à ses droits. Atteinte disproportionnée que le salarié devra bien entendu justifier.

Cette lecture des textes par la Cour d’appel de Reims ne manque pas d’étonner. Il apparaît juridiquement difficile de procéder à une telle distinction en matière de contrôle de conventionnalité. D’une certaine manière, la Cour d’appel tente de résister, sans vouloir le dire trop explicitement, à la Cour de cassation…

La Cour d’appel de Paris devait se prononcer sur le barème ce 25 septembre également. Elle a reporté son délibéré au 30 octobre prochain. Sa décision n’en est que plus attendue (voir « Application du « Barème Macron » : la saga continue !« , Capstan News du 4 juin 2019).

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