Emploi

Saisi d’un recours contre la loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, le Conseil constitutionnel a indiqué qu’il rendrait sa décision au cours de la semaine du 4 septembre. Le texte de la saisine autorise l’observateur à formuler quelques brefs commentaires qui n’ont toutefois pas pour objet de spéculer sur l’issue du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel.

Par Arnaud Martinon, Professeur Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Membre du Conseil scientifique Capstan

Droit à l’emploi

Le droit à l’emploi est plusieurs fois mobilisé par les auteurs de la saisine :

  1. s’agissant des effets du refus de l’application d’un accord collectif de travail (mobilité interne, maintien de l’emploi, réduction ou aménagement du temps de travail, …), la création (plutôt la généralisation) d’un « motif spécifique » de licenciement serait contraire au droit à l’emploi : « le Gouvernement pourrait ainsi être habilité à créer une modalité de licenciement ‘automatique’, sans prendre en compte la situation personnelle des salariés, et sans obligation de motivation réelle » ;
  2. concernant le licenciement économique, la limitation de l’appréciation de la cause aux seules entreprises du groupe présentes sur le territoire national et relevant du même secteur d’activité porterait une atteinte grave au droit à l’emploi ; elle serait « susceptible d’avoir un effet incitatif pour la délocalisation d’emplois hors de France pour des entreprises privées ».

Au-delà du caractère hypothétique du risque de délocalisation, on peut se réjouir que le droit à l’emploi soit encore au cœur de la discussion constitutionnelle. Ce n’est pas la première fois que ce droit inscrit à l’alinéa 5 du Préambule de la Constitution de 1946 est mis en relation avec le licenciement : tel fut le cas à l’occasion de l’examen de la loi du 31 mars 2006 relative au contrat première embauche (Cons. Const. n° 2006-535, 30 mars 2006) ou d’une QPC portant sur le droit à réintégration des salariés (Cons. const., 13 avr. 2012, n° 2012-232 QPC). La référence à ces décisions est intéressante car elle montre que le droit à l’emploi demeure un droit constitutionnel fragile,  qui résiste difficilement aux objectifs de développement de l’emploi (Cons. Const. n° 2006-535, 30 mars 2006) ou à la liberté d’entreprendre de l’employeur (Cass. soc., 14 avr. 2010, n° 08-45.247).

Droit à la négociation collective

Selon les auteurs du recours, le droit à la négociation collective serait menacé de deux manières :

  1. le référendum à l’initiative du seul employeur pour la validation d’un accord « pourrait (…) exclure les syndicats du processus de négociation collective, et méconnaîtrait (…) la place prédominante qu’ils doivent occuper dans la négociation collective » ;
  2. contribuerait aussi à l’atteinte, la fusion des institutions, spécialement lorsque la loi d’habilitation offre la possibilité de confier par voie conventionnelle le jeu de la négociation à l’institution issue de la fusion.

Plane naturellement autour de ces arguments la décision du 6 novembre 1996, spécialement lorsque le Conseil constitutionnel affirma que les alinéas 6 et 8 du Préambule de 1946 « confèrent aux organisations syndicales vocation naturelle à assurer, notamment par la voie de la négociation collective, la défense des droits et intérêts des travailleurs ». Les auteurs du recours s’y réfèrent naturellement … Mais oublient (un peu facilement) la suite du propos du Conseil : ces dispositions « n’attribuent pas pour autant [aux organisations syndicales] un monopole de la représentation des salariés en matière de négociation collective » (Cons. Const., n° 96-383 DC, 6 nov. 1996).

Si l’on perçoit difficilement en quoi la consultation des salariés sur la validation d’un accord négocié par des organisations syndicales exclut ces dernières du droit à la négociation (l’argument vaudrait de la même manière lorsque le référendum est à l’initiative des non signataires), l’invalidation du texte, au motif que la négociation serait reconnue à une institution composée de représentants élus, suscite aussi des doutes (surtout si l’on rappelle que les syndicats conservent un rôle essentiel dans la confection des listes de candidats aux élections professionnelles).

Principe d’égalité

Est enfin invoqué le sacro-saint principe d’égalité qui ne s’oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit (selon la formule du Conseil).

Là encore, une première lecture ne convainc pas totalement. La loi d’habilitation instaurerait une différence de traitement entre les salariés selon qu’il s’agirait de leur accorder des indemnités dans le cadre d’un licenciement ou qu’ils auraient été victimes d’autres fautes civiles. La loi est-elle vraiment différente du droit positif ? Les droits des salariés varient déjà selon que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ou qu’il est nul en raison de faits particulièrement graves (maternité, suspension du contrat à la suite d’un accident de travail, dénonciation de faits de harcèlement, …).

Serait aussi porteuse d’une rupture d’égalité l’adaptation des règles de licenciements collectifs à la taille de l’entreprise et au nombre des licenciements … Accueillir un tel argument serait l’aveu que, depuis son origine, notre droit des licenciements collectifs pour motif économique méconnaît le principe d’égalité. Ce serait aussi affirmer que le droit de l’Union européenne, assis sur des conditions comparables, méconnait le principe d’égalité (Dir. 20 juill. 1998). En somme, tout le droit du licenciement collectif devrait en être bouleversé … Le Conseil constitutionnel suivra-t-il ? On peut en douter.