Statut collectif

Des premières nouvelles qui nous parviennent au lendemain de l’adoption définitive du projet de loi d’habilitation, trône au premier rang la toute-puissance de la négociation d’entreprise. A entendre certains médias, la négociation collective ne serait plus que d’entreprise… Une sorte de messe de requiem pour la négociation de branche.

Par Arnaud Martinon, Professeur Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Membre du Conseil scientifique Capstan

Info : un changement de logique

On admettra volontiers que le projet de loi procède à un changement de logique. Tout cela n’est pas totalement nouveau : la loi du 4 mai 2004 avait introduit une brèche dans l’articulation accord de branche/accord d’entreprise ; la loi du 20 août 2008 s’était servie de la durée du travail pour expérimenter un nouveau schéma d’articulation (l’accord d’entreprise supplantant parfois l’accord de branche) … avant que la loi Travail consacre, toujours dans le domaine de la durée du travail, la domination de l’accord d’entreprise.

Aujourd’hui, le dispositif sort du giron du temps de travail pour explorer d’autres champs. L’ambition est affichée dès l’introduction : « reconnaître et (…) et attribuer une place centrale à la négociation collective, notamment d’entreprise, … ». S’il y a beaucoup de prudence dans la formule, la volonté s’affiche plus distinctement quelques lignes plus loin : le Gouvernement est autorisé à reconnaître dans les domaines « non réservés » « la primauté de la négociation d’entreprise ». En somme, tout ce qui n’est réservé ni par la loi, ni par la branche, relève de l’entière volonté des acteurs de l’entreprise.

Intox : la négociation de branche n’est pas morte

Mais la primauté de l’accord d’entreprise ne devrait pas (totalement) étouffer la négociation de branche. Deux séries de mesures réservent une compétence subsidiaire à l’accord de branche :

  • une compétence décidée par la loi : à l’image des lois de 2004 et de 2016, le Gouvernement devra définir « les domaines limitativement énumérés dans lesquels la convention ou l’accord d’entreprise, ou le cas échéant d’établissement, ne peut comporter des stipulations différentes de celles des conventions de branche ou des accords professionnels ou interprofessionnels ». La loi de 2004 fixait déjà 4 thèmes ; la loi Travail a élargi le cercle à 6… Les ordonnances à venir devraient encore faire bouger les lignes.
  • une compétence offerte à la branche : la branche pourra fixer les domaines (là aussi limitativement circonscrits par la loi) dans lesquels l’accord d’entreprise ne pourra déroger à l’accord de branche… Un moyen de redonner du souffle à la négociation de branche, et de donner corps au mystérieux « ordre public conventionnel » créé par la loi Travail.

Pour conclure, on n’oubliera pas que la négociation de branche présente dans nombre d’entreprises des enjeux fondamentaux : dans toutes celles dans lesquelles aucun accord n’a été conclu, l’accord de branche conserve toute sa vigueur.