L’idée est intéressante. Elle est d’ailleurs au cœur du projet de réforme du droit du travail actuellement en discussion. Mais cette idée est-elle aussi novatrice que ce qui nous est annoncé ? Peut-être pas !
Explications par Nicolas Christau, Associé – Capstan Avocats
Pendant très longtemps les règles relatives à la hiérarchie des conventions et accords entre eux ont résulté de la seule application du principe dit « de faveur », en vertu duquel aucune norme ne pouvait déroger, dans un sens défavorable aux salariés, à une norme de niveau supérieur : les dispositions négociées au niveau de la branche devaient ainsi être plus favorables que les dispositions légales, et celles négociées au niveau de l’entreprise plus favorables que celles de la branche.
La négociation au niveau de l’entreprise était alors conçue davantage comme un outil permettant de créer des droits supplémentaires au profit des salariés que comme un dispositif permettant aux partenaires sociaux d’adapter les normes sociales à la réalité et aux besoins de l’entreprise.
Mais, il y a 13 ans une première ouverture du champ de la négociation au niveau de l’entreprise devait être initiée.
Première pierre à l’édifice : La loi du 4 mai 2004
Ainsi en 2004, la loi relative « à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social » devait opérer un changement total de philosophie en permettant de manière générale, par accord d’entreprise, de prévoir des dispositions moins favorables que celles existant au niveau de la branche (à l’exception de certains thèmes fixés par l’article L2253-3 du Code du Travail parmi lesquels, notamment, les salaires minimas et les classifications).
Ces dispositions ont toutefois eu peu d’effet, dès lors :
- qu’il était laissé la possibilité aux accords de branche d’interdire expressément toute dérogation dans un sens défavorable, et donc de faire échec au principe nouvellement posé,
- que la jurisprudence avait jugé qu’un accord collectif d’entreprise ne pouvait pas prévoir de dispositions moins favorables que celles d’une convention de branche conclue avant l’entrée en vigueur de la loi.
En d’autres termes, il était uniquement possible par accord d’entreprise, de déroger à des dispositions conventionnelles créées postérieurement à la loi de 2004, et à condition que ni les dispositions légales ni les dispositions conventionnelles n’en excluent la possibilité.
En pratique, la mise en œuvre de cette réforme nécessitait donc un important travail d’analyse préalable, qui, de fait, n’était accessible qu’à un nombre restreint d’entreprises.
Seconde pierre à l’édifice : La loi du 20 août 2008
Face à ces difficultés d’application était alors créé par la loi portant « rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail » un nouveau concept : le principe de « subsidiarité », mais uniquement pour un nombre limité de thèmes relatifs à la durée du travail (modalités de recours à des conventions de forfait en jours ou en heures sur l’année, mise en place de dispositifs d’aménagements du temps de travail sur l’année, fixation du contingent conventionnel d’heures supplémentaires).
Avec ce nouveau principe, il ne s’agissait plus de permettre à l’accord d’entreprise de déroger à l’accord de branche, mais d’aller au-delà en prévoyant que les dispositions conventionnelles de branche ne s’appliqueraient qu’à défaut d’accord sur le thème concerné au niveau de l’entreprise.
C’est ainsi notamment que l’article L3121-11 du Code du Travail alinéa 1, dans sa rédaction issue de la loi du 20 août 2008, prévoyait que « des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d’un contingent annuel défini par une convention ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche ».
Se posait cependant la question de savoir si ce nouveau concept allait être restreint par la jurisprudence, et s’appliquer uniquement aux dispositions conventionnelles de branche postérieures à l’entrée en vigueur de la loi du 20 août 2008.
Mettant fin à cette interrogation, la Cour de Cassation, dans un arrêt du 1er mars 2017, a jugé que le principe de « subsidiarité » permettait de fixer par voie d’accord d’entreprise ou d’établissement des règles différentes et donc moins favorables que celles prévues par l’accord de branche, et ce quelle que soit la date de conclusion de ce dernier.
Il en résulte que toute entreprise peut donc librement déterminer par accord collectif d’entreprise, sur les thèmes concernés par la « subsidiarité », les règles qui lui seront applicables, peu important les éventuelles dispositions existant au niveau de la branche.
Ainsi par exemple, là où un accord de branche fixe le contingent conventionnel d’heures supplémentaires à 90 heures, l’entreprise peut maintenant déroger à cette limite et retenir un nouveau contingent sur une base inferieure ou supérieure en totale autonomie. Ceci présente un intérêt non négligeable dès lors qu’il est rappelé que seules les heures supplémentaires accomplies au-delà de ce contingent, donnent droit à une contrepartie obligatoire en repos au profit du salarié.
Troisième pierre à l’édifice : La loi du 8 août 2016
La solution apportée par la Cour de Cassation présente d’autant plus d’intérêt que la loi « El Khomri » généralise ce principe de « subsidiarité » à la quasi-totalité des thèmes relatifs à la durée du travail, aux repos et aux congés payés, pour lesquels il est donc désormais possible de négocier, au niveau de l’entreprise (voire au niveau de l’établissement), les dispositions qui seront applicables, sous la seule réserve du respect des dispositions d’ordre public fixées par le Code du Travail.
En matière de durée du travail, de repos et de congés, les difficultés d’application de la loi du 4 mai 2004 sont donc aujourd’hui résolues, et l’accord d’entreprise est effectivement devenu la norme première.
Reste à écrire l’articulation des normes conventionnelles de branche et d’entreprise s’agissant de l’ensemble des autres thèmes…
Pour ce faire, la loi « El Khomri » avait initialement confié à une commission de « refondation du code du travail » composée d‘experts et de praticiens la mission de préciser comment appliquer cette nouvelle architecture aux autres dispositions du code du travail.
Qu’en sera-t-il demain dans le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social ?
On peut penser que la tendance est plutôt à l’affirmation de la « place centrale de la négociation collective d’entreprise ».
Ainsi, en fonction des dispositions qui seront effectivement prises par ordonnance, et 13 ans après les premières dispositions en la matière, la réforme de l’articulation des normes négociées au niveau de l’entreprise et au niveau de la branche est peut-être en passe d’aboutir.
Ce qui est sûr, c’est que depuis 2004, le concept de la primauté de la négociation d’entreprise est un concept… en marche !
* Article initialement paru sur magazine-decideurs.com