Contrat de travail

Dans un arrêt du 29 mai 2024 (n° 22-16.218), la Cour de cassation a approuvé le licenciement d’un cadre de direction, bénéficiaire de différentes délégations de pouvoir lui permettant – notamment – de présider les institutions représentatives du personnel, qui avait entretenu pendant plus de 4 ans une relation amoureuse cachée avec une autre salariée, laquelle exerçait des mandats de représentation syndicale et de représentation du personnel,

On pourrait se réjouir que l’amour ait pu ainsi naître sur le terreau, pourtant assez peu fertile, des relations entre un représentant de l’employeur et un représentant du personnel, dont on sait qu’il peut être aisément marqué par la divergence, voire l’opposition ou le conflit. Sur le plan des sentiments, c’est assurément une belle histoire. On pourrait également regretter que la décision rendue ne témoigne pas de davantage de bienveillance à l’égard de la situation – somme toute romantique – qui en est à l’origine.

Mais, comme avec l’amour, on ne badine pas avec le droit…

L’immunité disciplinaire des éléments tirés de la vie privée est large…

Par principe, le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée. Dès lors, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut – en principe – pas justifier un licenciement disciplinaire.

Tel est par exemple le cas lorsque le salarié tient, même au moyen de la messagerie professionnelle, des propos à caractère raciste ou xénophobe dans le cadre d’échanges privés. Dès lors que ces échanges n’avaient pas vocation à devenir publics, et qu’ils n’ont eu par ailleurs aucune incidence sur les relations de leur auteur avec les usagers ou ses collègues, ils ne peuvent pas fonder une mesure disciplinaire (Cass. soc. 6 mars 2023, n° 22-11.016).

On pourrait donc supposer qu’une relation amoureuse entre collaborateurs, qui relève par nature de l’ordre du privé et de l’intime, obéirait au même traitement et ne pourrait donner lieu à la moindre critique de l’employeur, ni être passible d’une mesure disciplinaire. Ce serait quelque peu hâtif !

… mais elle n’est pas totale

L’immunité disciplinaire des éléments tirés de la vie privée supporte deux exceptions, qui ont pour effet de restituer à l’employeur son pouvoir disciplinaire :

  • Lorsque ces éléments se rattachent à la vie professionnelle du salarié. Tel est le cas lorsque l’on peut identifier, au travers des faits, des éléments objectifs « d’inclusion » à la sphère professionnelle : salarié qui utilise un véhicule de l’entreprise pour commettre un vol au préjudice d’un tiers durant le week-end (Cass. soc., 18 mai 2011, n°10-11.907) ; salarié qui, lors d’un séjour d’agrément offert comme récompense hors temps et lieu de travail, mais auquel participent également d’autres salariés et supérieurs, s’est livré à des menaces, insultes et comportements agressifs (Cass. soc., 8 octobre 2014, n°13-16.793),
  • Lorsque ces éléments caractérisent un manquement aux obligations contractuelles, l’obligation de loyauté étant ici le plus souvent mise en avant. C’est d’ailleurs principalement sur ce fondement que l’arrêt du 29 mai a été rendu.

Comment caractériser le manquement à l’obligation de loyauté ?

Pour justifier du manquement à l’obligation de loyauté, la Cour de cassation rappelle tout d’abord précisément les éléments de fait retenus par la Cour d’appel, qui permettaient d’apprécier les larges pouvoirs du salarié, et le périmètre étendu des responsabilités qui étaient les siennes. Exerçant des fonctions de direction, il était notamment chargé de la gestion des ressources humaines, avait reçu diverses délégations en matière d’hygiène, de sécurité et d’organisation du travail, ainsi que pour présider en permanence les différentes institutions représentatives du personnel.

La Cour de cassation rappelle ensuite, avec tout autant de précision, les particularités du statut de la salariée partenaire amoureuse : exerçant des mandats de représentation syndicale et du personnel, elle s’était investie dans des mouvements de grève et d’occupation d’un des établissements de l’entreprise, avait participé à différentes réunions portant sur un projet de réduction d’effectifs, dans le cadre desquels son partenaire représentait l’entreprise, tandis que des sujets qualifiés de sensibles (plans sociaux) y étaient abordés.

Ces éléments particuliers, liés à l’exercice de la représentation de l’employeur pour l’un des partenaires de couple, et à la représentation du personnel pour l’autre, justifient pour la Cour de cassation, que la dissimulation de la relation intime caractérise un manquement à l’obligation de loyauté. Le licenciement prononcé pour ce motif est légitime, même si l’entreprise n’avait subi aucun préjudice en raison de cette situation. Peut-être permettait-elle d’ailleurs une meilleure fluidité des relations sociales…

Quoi qu’il en soit, c’est donc bien le secret gardé autour de la relation amoureuse qui constitue la faute.

En faisant preuve d’optimisme, on pourrait donc imaginer que, si la faute repose sur le silence gardé, il aurait alors suffi à l’intéressé de faire part de l’existence de sa relation intime à l’employeur : étant dans ce cas considéré comme « loyal », il n’aurait pu faire l’objet d’aucune sanction pour ce motif. Au-delà du caractère sans doute très inconfortable d’une telle annonce, il semble malheureusement que cela n’aurait pas suffi, et que la Cour de cassation n’admettrait tout simplement pas la possibilité d’une relation amoureuse dans les conditions rencontrées.

En effet, si la motivation de l’arrêt fait principalement référence au manquement à l’obligation de loyauté, elle énonce également que la relation intime était en rapport avec les fonctions professionnelles et de nature à en affecter le bon exercice. Comprenons ici que, même si la relation avait été portée à la connaissance de l’employeur, ce dernier aurait probablement pu sanctionner une situation qui, manifestement, se rattache à la sphère professionnelle aux yeux de la Cour de cassation.

Entre l’amour et les relations sociales, dans la même entreprise, il est donc indispensable de choisir.