IRP

Les faits de l’espèce

Une société a contesté devant le Tribunal de grande instance (désormais Tribunal judiciaire) le montant des honoraires sollicités par l’expert désigné par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) pour réaliser une expertise risque grave (C. trav., art. L. 4614-12 anc.).

Concernant le montant des honoraires sollicités par l’expert, les juges du fond ont considéré qu’ils n’apparaissaient pas excessifs au regard du travail accompli et, en conséquence, ont rejeté la demande de réduction desdits honoraires (CA Nancy 5 septembre 2022, n°21/01692).

Au-delà de ce débat, l’expert sollicitait à titre reconventionnel la condamnation de la société à lui verser des dommages-intérêts pour procédure abusive.

Au soutien de cette demande, il faisait notamment valoir que :

  • la contestation en justice du montant de ses honoraires poursuivait un but étranger à son objet, à savoir décrédibiliser son rapport et en empêcher la diffusion en interne ;
  • la société avait interdit aux membres du CHSCT de diffuser en interne son rapport en le qualifiant de diffamatoire ;
  • la société avait déposé une plainte pour diffamation contre lui.

A l’aune de ces éléments, la Cour d’appel a condamné la société à lui verser des dommages-intérêts (2.000 euros) pour réparer le « préjudice moral résultant de l’abus de droit » commis par la société.

La décision de la Cour de cassation

A tort selon la Cour de cassation (Cass. soc. 3 avril 2024, n°22-22.021), laquelle rappelle tout d’abord que l’abus du droit d’ester en justice suppose la démonstration d’une faute. Le principe n’est pas nouveau (voir également en ce sens : Cass. 1ère civ. 19 février 2013, n°11-26.881 ; Cass. 2ème civ. 14 mars 2024, n°22-16.036).

En outre, le juge doit caractériser la faute ayant fait dégénérer en abus le droit d’ester en justice (Cass. 2ème civ. 4 juillet 2002, n°99-18.924 ; Cass. 2ème civ. 30 juin 2004, n°02-19.758 ; Cass. 1ère civ. 16 novembre 2016, n°15-24.248).

L’arrêt de la Cour de cassation s’inscrit dans ce cadre.

Après avoir rappelé les éléments évoqués devant les juges du fond, la Cour considère qu’ils sont « impropres à caractériser un abus du droit d’agir en justice » et casse l’arrêt d’appel. Cette décision est salutaire, dans la mesure où :

  • rendue pour une expertise votée par le CHSCT, elle est transposable aux expertises votées par un comité social et économique (CSE) ;
  • la possibilité de contester le montant des honoraires d’un expert désigné par une instance est un droit et est expressément ouverte par le législateur (C. trav., art. L. 2315-86). D’ailleurs, s’agissant de l’usage d’une voie de droit, les juges adoptent, en principe, une conception restrictive de la faute à l’origine de l’abus du droit d’agir en justice (par exemple concernant un recours irrecevable : Cass. 2ème civ. 19 novembre 2020, n°18-23.462) ;
  • dans le cadre d’un litige relatif aux honoraires de l’expert, le tribunal a toute latitude pour réduire le coût de l’expertise, notamment si celui-ci a été surévalué (Cass. soc. 19 mai 2010, n°08-19.316 ; Cass. soc. 15 janvier 2013, n°11-19.640 ; Cass. soc. 8 mars 2017, n°15-22.882).  Sur ce point, l’on peut d’ailleurs rappeler la position récente de la Cour de cassation suivant laquelle l’expert du CSE ne peut auditionner les salariés de l’entreprise qu’avec l’accord exprès de l’employeur et des salariés concernés. En conséquence, l’employeur peut solliciter la réduction du coût prévisionnel de l’expertise à hauteur du coût afférent à ces auditions (Cass. soc. 28 juin 2023, n°22-10.293) ;

Dans ces conditions, il apparaît nécessaire en cette matière de ne pas entraver davantage la possibilité de l’employeur d’agir pour discuter le montant des honoraires de l’expert !