Conditions de travail

Une définition élargie du lanceur d’alerte

La loi du 21 mars 2022, complétée par le décret du 3 octobre 2022, a renforcé la protection statutaire des lanceurs d’alerte en France. En transposant la directive de l’Union européenne du 23 octobre 2019, le législateur a souhaité intégrer le lanceur d’alerte au sein de la responsabilité sociétale des entreprises.

La protection du lanceur d’alerte a été effectuée par des lois successives : loi n°2001-1066 du 16 novembre 2001, loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013, loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 puis la loi n°2022-401 du 21 mars 2022, précitée.

Le lanceur d’alerte est désormais défini comme « une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engament international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement ».

La définition des faits pouvant donner lieu à une alerte est étendue et le lanceur d’alerte peut signaler des faits qu’il n’aurait pas personnellement constatés

La définition des faits pouvant donner lieu à une alerte est donc étendue et le lanceur d’alerte peut signaler des faits qu’il n’aurait pas personnellement constatés, s’ils ont été portés à sa connaissance dans un cadre professionnel.

Seuls sont exclus d’office du champ de l’alerte :

  • le secret de la défense nationale,
  • le secret médical,
  • le secret professionnel de l’avocat,
  • le secret des délibérations judiciaires
  • et le secret de l’enquête ou de l’instruction judiciaire en matière pénale.

De plus, la notion de bonne foi qui doit caractériser le lanceur d’alerte n’est pas évidente à apprécier d’un point de vue objectif.

Les alertes peuvent aussi émaner d’anciens membres du personnel, de candidats à un emploi, de dirigeants, d’actionnaires ou d’associés de l’entreprise mais aussi de ses co- contractants et sous-traitants, donc des personnes extérieures à l’entreprise.

Une protection juridique étendue

Le lanceur d’alerte bénéficie d’une irresponsabilité pénale et civile, d’une interdiction de mesures de représailles à son encontre, à peine de nullité, dès lors :

  1. qu’il correspond à la définition légale (qualité du lanceur d’alerte et nature des faits dénoncés) 
  2. et qu’il respecte la procédure de signalement prévue par la loi.

Il peut aussi solliciter le Défenseur des droits qui peut certifier sa qualité de lanceur d’alerte par un avis dont la portée reste à déterminer, en cas de contentieux. Il peut aussi bénéficier de provisions pour frais d’instance et subsides en cas de recours contre une mesure de représailles ou pour se défendre d’une action judiciaire visant à entraver son signalement ou sa divulgation publique.

Cette protection s’applique aussi aux facilitateurs, c’est-à-dire à toute personne physique ou morale de droit privé à but non lucratif ayant aidé le lanceur d’alerte à signaler les faits dénoncés et aux personnes physiques « en lien » avec le lanceur d’alerte (collègues par exemple), ce qui peut induire un cercle large de personnes qui pourraient souhaiter bénéficier de la protection du lanceur d’alerte.

En outre, le lanceur d’alerte s’il peut être protégé à ce titre, peut également bénéficier d’une protection similaire dans certains cas déjà visés par des lois spécifiques : droit d’alerte individuelle contre la corruption, dénonciation de harcèlement sexuel ou moral, en matière de santé (maltraitance dans le secteur social et médico-social, sécurité sanitaire des produits) mais aussi en matière d’environnement, de conflits d’intérêts ou de discrimination.

De manière plus générale, il bénéficie comme tous les salariés de la liberté d’expression, sauf abus (propos diffamatoires ou injurieux) et restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. La Cour de cassation a récemment rappelé qu’un licenciement lié à l’exercice non abusif de la liberté d’expression d’un salarié était nul (Cass. soc. 16 février 2022, n°19-17.871).

Une procédure d’alerte facilitée

Depuis le 1er septembre 2022, l’employeur ne saurait exiger du lanceur d’alerte qu’il effectue son signalement au sein de l’entreprise avant de pouvoir faire un signalement externe, auprès d’une des autorités compétentes listées par décret (voir annexe du texte).

La loi impose la mise en place au sein des entreprises de plus de 50 salariés (effectif apprécié en moyenne au cours de 2 exercices consécutifs) d’une procédure de signalement interne qui permette le recueil et le traitement des alertes. Le décret n° 2022-1284 du 3 octobre 2022 ne précise pas les modalités de cette procédure (règlement intérieur, note de service ou accord d’entreprise), qui reste à définir par chaque entreprise ou groupe (et qui peut même être mutualisée entre plusieurs entités).

En revanche, le décret précise que la procédure doit être soumise à la consultation des instances de dialogue social, ce qui suppose un avis préalable du CSE, et qu’elle doit être diffusée par tout moyen pour assurer une publicité suffisante. L’objectif est de permettre une meilleure détection des dysfonctionnements au sein d’une entreprise.

Dans ce but, le règlement intérieur doit mentionner l’existence d’un dispositif de protection des lanceurs d’alerte.

La procédure doit mentionner les personnes en charge du recueil et du traitement des alertes, sachant que le canal de réception des signalements peut être géré pour le compte de l’entreprise par une personne physique ou morale extérieure. De nombreuses plateformes dématérialisées proposent ce service.

Le décret précise que la procédure peut recueillir des signalements par oral, avec la nécessité de consigner les informations ainsi données sur des supports durables.

La procédure doit également prévoir les suites données aux signalements qui ne respectent pas les conditions légales et aux signalements anonymes.

En tout état de cause, l’entreprise devra assurer le traitement des signalements et mener une véritable enquête dans un délai de 3 mois à compter de l’accusé de réception du signalement, dans le respect de la confidentialité, de l’impartialité et des règles en matière de protection des données personnelles, notamment des durées de conservation proportionnées à la situation (RGPD).

L’obligation de mise en place de cette procédure interne n’est pas assortie de sanction mais son absence pourrait être considérée comme un préjudice générant l’attribution de dommages-intérêts en cas de contentieux mené par un lanceur d’alerte évoquant la perte d’une chance de faire cesser un dommage.

La mise en œuvre pratique de cette protection interroge, notamment lorsque le lanceur d’alerte était menacé d’une mesure disciplinaire ou d’un licenciement avant d’effectuer son signalement. Un risque de détournement de la protection du lanceur d’alerte existe, d’autant que la Cour de Cassation a une position très stricte actuellement : seule la preuve de la mauvaise foi du salarié permet de s’exonérer de l’application de la protection du lanceur d’alerte, et du risque de nullité de la mesure qui lui aura été notifiée.

Néanmoins, l’enquête, justement prévue dans le traitement de l’alerte, pourrait permettre, le cas échéant, de démontrer le caractère injustifié du signalement voire son caractère abusif, avant de prononcer les mesures disciplinaires ou de rupture envisagées.

Remarque

L’hypothèse d’un détournement d’une procédure de protection des droits individuels a été récemment illustrée par un arrêt de la Cour d’appel de Paris en matière de RGPD par lequel elle a rejeté la demande excessive d’une ancienne salariée à avoir accès à toutes ses données personnelles ayant transité dans la société où elle travaillait pour faire la démonstration de ses heures supplémentaires. Cette preuve pouvait résulter d’autres documents déjà communiqués par l’employeur (art. 15 du RGPD ; CA Paris, 12 mai 2022, n°21/02419).

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