Contentieux

LES FAITS : UN NON-RESPECT DE L’HORAIRE COLLECTIF

A l’occasion d’une série de contrôles visant une grande entreprise (La Poste), l’inspection du travail constate que certains salariés (des facteurs) commencent et finissent leur journée de travail plus tôt ou plus tard que prévu par l’horaire collectif de travail en vigueur.

Estimant qu’en réalité ces salariés n’exercent pas dans le cadre de l’horaire collectif, l’administration en déduit que l’employeur aurait dû établir les documents nécessaires au décompte de la durée du travail de chacun d’eux, en application de l’article L. 3171-2 du Code du travail.

L’ADMINISTRATION POUVAIT-ELLE APPLIQUER UNE AMENDE ADMINISTRATIVE ?

L’autorité administrative pouvant sanctionner le manquement à l’obligation d’établir un tel décompte de la durée de travail d’une amende administrative, sous réserve de l’absence de poursuites pénales (C. trav., art. L. 8115-1), plusieurs Direccte (devenues Dreets) sanctionnent donc la société à la suite des contrôles effectués.

L’employeur conteste ces amendes et la grande majorité des juges du fond saisis lui donne raison. Le ministre du travail se pourvoit devant le Conseil d’Etat.

Ce dernier n’avait encore jamais tranché cette question : l’inspection du travail peut-elle « requalifier » un horaire collectif de travail en horaires individuels ? et ensuite sanctionner l’employeur pour des manquements à un régime d’horaire qu’il n’avait pas entendu appliquer à l’origine ?

LA SOLUTION DU CONSEIL D’ETAT

Dans un arrêt rendu le 1er février 2023 (n° 457116), le Conseil d’Etat juge que le principe de légalité des délits (déjà appliqué en matière de sanctions administratives : CE, 24 juin 2013, n° 360949 ; CE, 16 décembre 2016, n° 390234), fait obstacle à ce qu’une sanction soit prononcée s’il n’apparaît pas de façon claire et prévisible qu’un comportement peut constituer un manquement. L’employeur ne peut donc pas être sanctionné pour le non-respect d’un régime de décompte de la durée du travail qu’il n’entendait pas appliquer !

Selon le Conseil d’Etat, « L’autorité administrative ne pouvait légalement infliger à la société La Poste, s’agissant de salariés employés sur deux sites sur lesquels un même horaire collectif de travail, négocié par accord collectif, avait été rendu opposable par voie de règlement affiché et adressé à l’inspection du travail, l’amende encourue en cas de manquement à l’obligation […] de tenir des décomptes individuels de la durée du travail des travailleurs ne travaillant pas selon le même horaire collectif de travail ». En d’autres termes, l’administration ne peut pas d’abord requalifier l’horaire collectif en horaires individuels puis sanctionner l’employeur pour le non-respect des obligations liées auxdits horaires individuels.

Que peut faire l’autorité administrative dans ce cas ? Elle ne peut que constater la situation objective (le non-respect de l’horaire collectif), puis éventuellement en tirer les conséquences en la sanctionnant.

Ainsi, et l’arrêt le rappelle implicitement, la sanction des écarts à l’horaire collectif de travail doit plutôt consister dans l’application de l’interdiction d’employer des salariés en dehors de cet horaire collectif, que dans la « requalification » du régime d’horaire de travail.

Qu’est-ce qu’une sanction administrative ?

Selon le Conseil d’Etat, c’est « une décision unilatérale prise par une autorité administrative agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique » qui « vise à réprimer un comportement fautif ». Entrent notamment dans cette définition les amendes administratives.

L’ordonnance n° 2016-413 du 7 avril 2016 a réformé le régime des sanctions administratives en droit du travail et en a considérablement élargi le champ d’application.

Désormais, lorsqu’elle constate un manquement puni à la fois pénalement et par une amende administrative, l’inspection du travail a le choix entre :

  • rédiger un procès-verbal transmis au procureur, auquel il sera peut-être fait suite,
  • rédiger un rapport adressé au Dreets qui est seul compétent pour prononcer ou non la sanction.

Toutefois, l’inspection du travail ne peut engager une procédure de sanction administrative qu’en l’absence de poursuites pénales.