Covid-19

Des juges ont déjà eu à se prononcer, en référé, sur l’obligation vaccinale applicable à certains salariés en application de la loi du 5 août 2021. Anne-Laure Periès analyse les arguments invoqués par les salariés et les réponses adressées par les juges pour rejeter leurs demandes.

À la suite de la publication de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021, les employeurs sont confrontés à des refus de vaccination de la part de salariés travaillant dans des établissements où, depuis le 15 septembre 2021, l’obligation vaccinale s’applique.

Certains agents ou salariés (relevant du droit public ou du droit privé) ont saisi le juge des référés du tribunal administratif ou du conseil de prud’hommes pour contester la suspension du contrat de travail et l’interruption du versement de la rémunération en raison de leur refus de la vaccination contre la Covid-19.

Parmi les arguments invoqués, ont été soulevées :

  • « une atteinte à l’intégrité physique » voire un « traitement inhumain » ;
  • une « atteinte au consentement libre et éclairé du patient aux soins médicaux » ; 
  • une « discrimination » non justifiée au regard de différents textes européens ; 
  • une « autorisation de mise sur le marché conditionnelle » qui affecterait la viabilité du vaccin contre la Covid-19. 

Ces arguments méritent un approfondissement, illustré par des décisions récentes rendues en référé.

L’absence d’atteinte à l’intégrité physique » voire d’un traitement inhumain 

Dans sa requête, un des salariés refusant la vaccination obligatoire fait par exemple valoir que la suspension du contrat de travail priverait « une personne de ressources en vue de la contraindre à une atteinte à son intégrité physique pouvant potentiellement entraîner la mort ou de graves lésions » et constituerait « manifestement un traitement inhumain ». Il se fonde sur l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui interdit « la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants ». 

Or, au sens de la CEDH et de la Charte européenne des droits fondamentaux, un traitement n’est considéré comme dégradant que « s’il humilie ou avilit un individu, s’il témoigne d’un manque de respect pour sa dignité humaine, voire la diminue, ou s’il suscite chez l’intéressé un sentiment d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale ou physique » (CEDH, 21 janvier 2011, MSS c. Belgique et Grèce, en pièce jointe).

Par exemple, l’appréhension suscitée par la simple perspective de se voir appliquer des châtiments corporels (coups de martinet) dans une école publique a été jugée ne pas atteindre le degré de gravité requis, l’appréhension ou l’inquiétude, pour ne pas parler d’une simple tension psychologique, ne pouvant relever de la même catégorie que l’humiliation ou l’avilissement (CEDH, 25 février 1982, Campbell et Cosans, § 30).

Est exigé un « seuil élevé de gravité à partir duquel un traitement peut passer pour inhumain ou dégradant » (CEDH, 19 février 2009, A. et a. c/ Royaume-Uni, § 134).

Or, le non-paiement du salaire résultant de la suspension du contrat de travail (article 14 de la loi du 5 août 2021) est lié au libre choix du salarié de refuser la vaccination et intervient en l’absence d’autres alternatives (paiement de congés payés, de congés conventionnels, de repos voire affectation à un autre poste ou télétravail).

Dans ce contexte, il parait quelque peu extravagant de qualifier la suspension du contrat du salarié refusant librement de satisfaire à une obligation vaccinale, édictée dans l’intérêt général et assortie des meilleures garanties pharmacologiques, de « traitement dégradant ».

La Cour de cassation avait eu l’occasion de statuer par le passé sur le refus d’un salarié de se faire vacciner, à la suite de l’application d’une obligation légale dans son entreprise de pompes funèbres, et avait considéré son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse (arrêt du 11 juillet 2012)

Plus récemment, et à propos de la vaccination contre la Covid-19, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, comme celui du tribunal administratif de Pau ont jugé que l’obligation vaccinale ne portait pas une atteinte grave et manifestement illégale à l’intégrité physique des personnes (ordonnance référé TA de Strasbourg n° 2106447 du 27 septembre 2021, ordonnance référé TA de Pau n° 2102411 du 16 septembre 2021, en pièces jointes).

L’absence d’atteinte au consentement libre et éclairé du patient aux soins médicaux

Un aide-soignant dans un centre hospitalier public avait fait aussi valoir que la décision de suspension qui conditionnait la poursuite de son contrat de travail à la production de la preuve de sa vaccination (ou de son impossibilité pour raisons médicales) méconnaissait le « consentement libre et éclairé du patient aux soins médicaux » qui lui étaient prodigués.

Le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a répondu qu’aucun traitement médical ne lui avait été imposé et notamment qu’il n’avait pas été contraint, justement, de se faire vacciner contre la Covid-19 (ordonnance précitée, n° 2106447 du 27 septembre 2021)

L’absence de discrimination prohibée sur le plan européen

Dans sa requête en référé, un autre salarié a fait valoir un principe général d’interdiction des discriminations, qui serait consacré dans l’article 18 du Traité de l’union européenne et dans le règlement (UE) 2021/953 du 14 juin 2021 relatif au certificat COVID numérique de l’UE.

Or, d’une part l’article 18 ne vise pas la discrimination fondée sur l’état de santé mais seulement sur la nationalité. D’autre part, le règlement communautaire du 14 juin 2021 ne vise pas les situations purement nationales, mais seulement les déplacements transfrontières. En outre, ce règlement a un « objet étranger à l’obligation vaccinale, comme le confirme l’ordonnance du tribunal administratif de Pau du 16 septembre 2021.

Le juge administratif de Pau en référé a précisé que « l’obligation vaccinale des professionnels soignants et non soignants des établissements publics de santé ne crée aucune discrimination entre les agents vaccinés et non vaccinés qui serait contraire au principe d’égalité ». 

La validité d’un vaccin faisant l’objet d’une autorisation de mise sur le marché conditionnelle

Un des requérants soutient qu’il serait « manifestement illégal de soumettre les personnels de santé à la vaccination obligatoire par des produits » faisant l’objet d’une autorisation de mise sur le marché conditionnelle.

Selon lui, « les quatre vaccins autorisés ChAdOx1 (Astra Zeneca), BNT162b2 mRNA (PfizerBioNTech), mRNA-1273 (Moderna) et Ad26.COV2.S (Johnson & Johnson) bénéficient d’une simple autorisation de mise sur le marché conditionnelle délivrée par la Commission européenne ».

Or, comme le précise l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sur son site internet, « une AMM conditionnelle permet l’autorisation de médicaments qui répondent à un besoin médical non satisfait avant que des données à long terme sur l’efficacité et la sécurité ne soient disponibles. Cela est possible uniquement si les bénéfices de la disponibilité immédiate du médicament l’emportent sur le risque inhérent au fait que toutes les données ne sont pas encore disponibles. L’AMM conditionnelle rassemble tous les verrous de contrôles d’une autorisation de mise sur le marché standard pour garantir un niveau élevé de sécurité pour les patients ».

Le juge du référé du tribunal administratif de Pau a souligné à cet égard que « les vaccins contre la Covid-19 administrés en France ont fait l’objet d’une autorisation conditionnelle de mise sur le marché par l’Agence européenne du médicament, qui procède à un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d’efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées et certifiées. (…) Ils ne sauraient dès lors être regardés comme des médicaments expérimentaux au sens du code de la santé publique et de la directive 2001/20/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 avril 2001 ».

Dès lors qu’un médicament est autorisé et utilisé dans le cadre de son AMM, il est commercialisé et n’est plus un médicament expérimental.

D’autres arguments ont pu être invoqués mais toutes les décisions rendues à ce jour – à notre connaissance – ont rejeté les demandes des requérants.

Il convient de rappeler que la Cour européenne des droits de l’homme dans sa décision du 8 avril 2021 à propos d’une vaccination obligatoire pour les enfants (en pièce jointe), a fait état de l’existence d’un « consensus général au sujet de l’importance vitale de protéger la population contre des maladies susceptibles d’avoir de lourdes conséquences pour la santé de l’individu et, en cas de graves poussées épidémiques, de perturber la société ».

Le Conseil constitutionnel a retenu la conformité de la loi du 5 août 2021 aux droits et libertés fondamentales en constatant le risque particulier de diffusion du virus dans certains secteurs d’activité (décision n°2021-824 DC du 5 août 2021).

En conclusion et face à ces arguments, l’employeur peut faire également valoir, au-delà de l’application de la loi sur la vaccination obligatoire, une obligation générale de sécurité. Cette obligation pèse sur l’employeur mais aussi sur les salariés (articles L 4121-1 et L 4122-1 du code du travail), au titre de la prévention des risques professionnels, et au titre de la protection contre la circulation du virus, notamment pour les publics particulièrement vulnérables.

Article reproduit avec l’aimable autorisation d’Actuel-RH