Au retour de son congé parental, une vendeuse engagée dans une société de commerce de détail d’habillement s’est présentée à son poste de travail avec un foulard dissimulant ses cheveux, ses oreilles et son cou. L’employeur lui a demandé de le retirer et, à la suite de son refus, l’a licenciée pour cause réelle et sérieuse, invoquant l’atteinte à l’image de marque et à la politique commerciale de son entreprise, fondée sur les attentes présumées de sa clientèle.
Estimant être victime d’une discrimination en raison de ses convictions religieuses, la salariée a saisi la juridiction prud’homale et a obtenu l’annulation de son licenciement par la Cour d’appel. La Cour de cassation vient de confirmer cette décision (Cass. soc., 14 avril 2021, n° 19-24.079), s’inscrivant dans le cadre de la jurisprudence de la Cour de justice de l’union européenne, notamment des arrêts du 14 mars 2017 (affaire 157/15 dite « G4S » et affaire 188/15 dite « Micropole ») et de sa propre jurisprudence, notamment l’arrêt du 22 novembre 2017 (n°13-19.855 FS-PBRI).
En l’absence de clause de neutralité, le licenciement pour port du voile est par nature discriminatoire
Depuis l’arrêt Micropole et l’adoption de l’article L. 1321-2-1 du code du travail issu de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur peut insérer dans le règlement intérieur (ou dans une note de service soumise au même régime) une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail. Toutefois, cette clause n’est valable que si elle est:
- applicable de manière générale et indifférenciée (à tout signe et à toutes les religions) ;
- justifiée par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elle est proportionnée au but recherché (par exemple : salariés en contact avec la clientèle).
Or, une telle clause était absente dans l’affaire en cause.
Si des différences de traitement sont autorisées…
La prohibition des discriminations ne fait pas obstacle aux différences de traitement.
En l’espèce, pour écarter l’accusation de discrimination liée à la manifestation d’une conviction religieuse, l’employeur avait invoqué une « exigence professionnelle nécessaire et déterminante » liée à l’image de marque de son entreprise consacrée à la vente de vêtements féminins.
Or, cette exigence professionnelle nécessaire et déterminante est définie de manière objective : elle doit (C. trav., art. L. 1133-1) :
- poursuivre un but légitime
- être proportionnée
- être dictée par la nature ou par les conditions de l’activité professionnelle,
Cette exigence professionnelle est appréciée d’autant plus strictement que si l’absence de manifestation de convictions religieuses s’impose à l’Etat, à ses agents et aux entreprises privées gérant un service public, il n’en va pas de même pour les entreprises privées. De plus, le principe général de non-discrimination sur la base de convictions religieuses figure dans tous les textes fondateurs de la République française comme dans ses engagements internationaux (Constitution du 4 octobre 1958, Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, Charte des droits fondamentaux de l’union européenne du 7 décembre 2000).
… tel n’est pas le cas en l’espèce de la justification reposant sur l’image de l’entreprise
Or, en l’espèce, l’employeur se fondait sur des attentes supposées de sa clientèle, alors que des souhaits exprimés par la clientèle avaient déjà été rejetés comme motifs de licenciement par la CJUE dans l’affaire Micropole, estimant qu’il s’agissait là de considérations subjectives et non d’exigences professionnelles objectives justifiant une restriction à l’expression des convictions religieuses des salariés.
Si des impératifs d’hygiène et de sécurité peuvent être considérés comme caractérisant une exigence professionnelle nécessaire et déterminante, il conviendra de s’assurer que les conditions démontrent un risque d’atteinte à la sécurité des salariés ou des clients. Ainsi, le port d’une « barbe provocante » ne suffit pas en soi à le démontrer (Cass. soc. 8 juillet 2020, n°18-23.743, FS-PBRI).
Une autre hypothèse pourrait être la démonstration d’un trouble objectif ; mais, là encore, les circonstances seules permettront de le démontrer : un tel trouble pourrait résulter d’un prosélytisme persistant ou de pressions exercées sur des salariés ou des clients, nuisant alors gravement au bon fonctionnement de l’entreprise ou aux libertés fondamentales.