L’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise fusionne désormais en une seule instance les délégués du personnel, le comité d’entreprise et le CHSCT. Quel fonctionnement pour l’expertise dans cette instance unique ? Réponse avec Nelly Morice, Avocat
Seul le CSE pourra, le cas échéant sur proposition des commissions constituées en son sein, décider de recourir à un expert (Article L.2315-78 du Code du travail). Les frais d’expertise sont alors pris en charge (Article L. 2315-80 du Code du travail) :
- par l’employeur à 100% dans 4 cas (deux consultations pérennes : la consultation sur la situation économique et financière, la consultation sur la politique sociale de l’entreprise, deux consultations ponctuelles : PSE et risque grave) ;
- par le comité, sur son budget de fonctionnement, à hauteur de 20%, et par l’employeur, à hauteur de 80%, pour la consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise et les consultations ponctuelles envisagées par le Code du travail et autres que celles précédemment visées.
Dans le droit antérieur, seul l’expert désigné au titre de la consultation sur les orientations stratégiques était cofinancée par le comité d’entreprise et l’employeur. La participation du CSE au financement de l’expertise constitue un vrai changement en particulier dans les entreprises où le CHSCT avait recours systématiquement à un expert en cas de « projet important ».
L’ordonnance précise qu’à compter de la désignation de l’expert par le CSE, les membres du comité établissent un cahier des charges et que l’expert notifie à l’employeur le coût prévisionnel, l’étendue et la durée d’expertise, dans un délai fixé par décret en Conseil d’Etat (Article L.2315-81-1 du Code du travail).
Dans le prolongement de ce prévoyait la loi Travail en matière d’expertise CHSCT, l’ordonnance généralise l’encadrement temporel de la contestation judiciaire du recours à expertise, en le systématisant à chacune des grandes étapes de l’expertise :
- à compter de la délibération du CSE si l’employeur entend contester la nécessité de l’expertise ;
- à compter de la désignation de l’expert par le CSE s’il entend contester le choix de l’expert ;
- à compter de la notification à l’employeur du cahier des charges s’il entend contester le coût prévisionnel, l’étendue ou la durée de l’expertise ;
- à compter de la notification à l’employeur du coût final de l’expertise s’il entend contester ce coût.
Ainsi, un délai de contestation court à chaque étape du processus, dès que l’employeur a connaissance du point qu’il entend contester. En pratique, l’employeur ne devrait pas pouvoir contester un point s’il ne l’a pas fait dans le délai imparti. Ainsi, il ne sera pas possible de contester le recours à l’expertise dans le délai qui porte sur le montant des honoraires.
Le projet d’ordonnance présenté le 22 septembre 2017 prévoyait initialement que chacun de ces délais était de 5 jours. La version définitive renvoie finalement à un décret en Conseil d’Etat le soin de le fixer. Aucun décret n’est encore paru mais il faut espérer que ce délai sera allongé de sorte que l’employeur ait matériellement le temps de saisir le TGI en la forme des référés. La prudence impose en effet de signifier l’assignation par huissier et de remettre le second original de l’acte en cause au greffe de la juridiction avant l’expiration du délai.
- En encadrant ainsi la contestation du recours à expert, l’ordonnance répond à des problématiques posées par les modalités de contestation résultant de la loi Travail du 8 août 2016. Ces anciennes dispositions demeurent en vigueur pendant les mandats en cours et jusqu’à la mise en place du CSE. En matière d’expertise CHSCT, la loi Travail encadrait le délai dans lequel l’employeur pouvait saisir le juge judiciaire afin de contester « la nécessité de l’expertise, la désignation de l’expert, le coût prévisionnel de l’expertise tel qu’il ressort, le cas échéant, du devis, l’étendue ou le délai de l’expertise ». Ce délai était fixé à 15 jours à compter de la délibération du CHSCT. Une fois l’expertise terminée, l’employeur pouvait contester son coût, au regard notamment de la qualité des travaux de l’expert. L’article L.4614-13-1 est en effet venu préciser « l’employeur peut contester le coût final de l’expertise devant le juge judiciaire, dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle l’employeur a été informé de ce coût. »
Une difficulté s’est très vite présentée : aucun texte ne précise le contenu de la délibération du CHSCT en cas de recours à un expert. Le plus souvent, l’employeur doit en effet attendre la lettre de mission de l’expert pour connaître le délai de l’expertise et son coût prévisionnel. Or, cette lettre de mission est en pratique adressée à l’employeur plusieurs jours après la délibération du CHSCT. Ainsi, à la date de la réception de cette lettre, l’employeur pouvait être forclos pour saisir le juge… Face à cette difficulté, les juges du fond ont répondu différemment.
Le TGI de Paris (TGI de Paris, ordonnance en la forme des référés du 18 mai 2017, RG n°17/54312) a retenu que « le point de départ d’un délai de prescription ouvert au demandeur ne pouvant être fixé qu’à partir du jour où il a été mis en mesure d’agir en justice », lorsque la délibération du CHSCT ne fait référence ni au coût prévisionnel ni au délai de l’expertise, la Société est recevable à user de son droit de contestation dans un délai de 15 jours à compter de la réception de la convention d’expertise. Le TGI a retenu que la Société a ainsi agi une fois qu’elle a été en mesure de connaître le coût prévisionnel, l’étendue et le délai de de l’expertise pour les contester en justice.
Au contraire, pour le TGI de Nantes (TGI de Nantes, ordonnance en la forme des référés du 29 juin 2017, RG n°17/00423), la réception de la lettre de mission ne fait pas partir un nouveau délai de contestation de 15 jours : « le législateur a fait de la délibération du CHSCT l’unique point de départ du délai pour agir de l’employeur, quelque que soit le motif fondant sa contestation ; qu’ainsi le juge doit être saisi en la forme des référés dans le délai de 15 jours à compter de la délibération. (…) Il appartenait à la Société de soulever dès la première procédure tous les moyens utiles, même à titre conservatoire. » L’action de la Société dans les 15 jours de la réception de la lettre de mission a donc été déclarée irrecevable.
Sur cette question, par arrêt du 13 juillet 2017, la Cour de cassation a transmis une Question Prioritaire de Constitutionnalité au Conseil constitutionnel, qui devrait se prononcer le 13 octobre prochain : « L’article L. 4614-13 du code du travail qui fait courir le délai de forclusion à compter d’une date à laquelle l’employeur n’a pas connaissance des éléments litigieux et qui permet que le droit d’agir se trouve éteint par forclusion avant même d’avoir pu être exercé est-il conforme au droit au recours effectif garanti par l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ? »
Dans sa décision, le TGI de Nantes ajoutait : « il n’est manifestement pas dans l’esprit du législateur de permettre à l’employeur de contester un à un, par des procédures distinctes, chaque point visé par l’article L.4614-13 du Code du travail à savoir la nécessité de l’expertise, la désignation de l’expert, le coût prévisionnel de l’expertise, l’étendue ou le délai de l’expertise alors que l’esprit de loi est de permettre la mise en place de l’expertise dans des délais contraints (délai de saisine de 15 jours et délai pour statuer de 10 jours). »
Ce sera pourtant le cas avec le comité social et économique (CSE).
Article initialement paru sur magazine-decideurs.com