Dans un arrêt rendu le 26 novembre dernier (CA Paris, 26 novembre 2024, n°21/10408), la Cour d’appel de Paris a jugé que « l’existence de propos sexistes et d’agissements à caractère sexiste et sexuel » pouvaient caractériser ce qu’elle a nommé un « harcèlement d’ambiance à l’égard des femmes ». Au cas d’espèce, elle a relevé :
- des échanges de mails à teneur sexuelle entre collègues de travail, comportant des photographies de « femmes pour partie dénudées ou dans des positions suggestives », assortis de « comportement graveleux » qui, bien que ne visant pas directement la salariée requérante, étaient visibles du fait de la proximité matérielle des postes de travail situés en open space ;
- l’insuffisance des mesures d’investigations menées par l’employeur (notamment s’agissant de l’enquête diligentée en interne).
La reconnaissance d’un harcèlement d’ambiance à caractère sexuel ?
La Cour d’appel a estimé que la salariée, bien que n’étant pas visée directement par les échanges à teneur sexuelle et sexiste, a subi les effets de cette ambiance de travail qui a créé un « environnement hostile, dégradant, humiliant et offensant ». La salariée ne pouvant « s’abstraire de cet environnement et ignorer les images à caractère sexuel et les propos sexistes échangés portant atteinte à sa dignité de femme – cette situation ayant eu pour conséquence une dégradation de ses conditions de travail et une altération de son état de santé ».
De cette situation, la Cour, à l’instar de la position défendue par le Défenseur des droits dans un courrier qu’il avait adressé à l’entreprise, retient que le « harcèlement d’ambiance » a la particularité :
- de ne pas viser une personne en particulier ;
- d’émaner d’un groupe d’individus au sein d’une communauté de travail.
Selon l’interprétation retenue, il ne saurait, au titre d’une ambiance de travail très détendue, voire familière, être toléré des agissements à teneur sexuelle et sexiste, et ce, quel que soit l’environnement de travail et la personne visée (y compris si aucun salarié n’est d’ailleurs visé directement).
Une motivation fondée sur la notion d’agissements sexistes et l’interdiction de mesures discriminatoires
Saisie sur des faits datant de 2018, la Cour d’appel a fondé sa décision sur les principes définis par les articles L. 1142-2-1 du Code du travail et 1er de la loi 2008-496 du 27 mai 2008 :
- Le premier prohibe tout agissement sexiste « défini comme agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant hostile, dégradant, humiliant ou offensant » ;
- Le second précise que la discrimination inclut « tout agissement à connotation sexuelle subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant hostile, dégradant, humiliant ou offensant. »
La nouvelle définition du harcèlement sexuel issue de la loi du 2 août 2021, intègre les agissements sexistes dans la qualification du harcèlement sexuel, l’article L. 1153-1 du Code du travail prohibant notamment les « propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui soit portent atteinte à la dignité de la personne en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».
Ainsi, si la Cour avait eu à se prononcer sur des faits postérieurs à l’entrée en vigueur de cette nouvelle définition, on peut imaginer qu’elle aurait pu fonder la condamnation de l’employeur, soit sur les agissements sexistes, soit sur le harcèlement discriminatoire à connotation sexuelle, soit sur le harcèlement sexuel, les notions issues de ces différents textes ayant un champ d’application pour partie partagé. A cet égard, on voit mal l’utilité de la création jurisprudentielle d’une notion nouvelle de « harcèlement d’ambiance », tant les textes existants sont nombreux et permettent déjà de couvrir peu ou prou l’ensemble des situations.
Des actions de prévention à envisager
Cette notion de « harcèlement d’ambiance » à caractère sexuel (jamais utilisée par la Cour de cassation), revient à désigner l’employeur comme responsable de la qualité du climat de travail dans l’entreprise.
Or, s’il est certain que les salariés ne doivent pas subir un environnement de travail sexiste ou sexualisé et ressenti, à ce titre, comme dégradant, indigne, offensant, humiliant, hostile ou intimidant, il n’y a ici encore rien de nouveau, et nul besoin de la création d’une notion nouvelle, puisque :
- les notions de harcèlement sexuel et d’agissement sexistes prohibent déjà les comportements créant ce type d’environnement ;
- en application de son obligation de sécurité, l’employeur doit « assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » (C. trav., art. L. 4121-1 et L. 4121-2).
Quoiqu’il en soit, l’entreprise doit toujours pouvoir justifier avoir pris les mesures nécessaires en vue de prévenir le risque de harcèlement et d’agissements sexistes (diagnostic de la situation, actions de sensibilisations et de formations des managers, désignation de référent harcèlement, enquête interne, …). Il doit également, le cas échéant, faire cesser les situations susceptibles de relever d’une telle qualification en sanctionnant d’éventuelles dérives.
Sur ce thème, voir aussi « Agissement sexiste dans l’entreprise : quelle attitude adopter ? quelle sanction prononcer ? »
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