Kévin Bouchareb est spécialiste du Futur du travail et collabore avec Capstan Avocats sur les questions de stratégie et prospective RH (voir son article « Menaces sur l’emploi, grande démission :  les contradictions d’un marché du travail polarisé« )

Quel parcours et quelles expériences clés ont forgé votre vision du futur du travail ?

J’ai eu la chance de faire un de mes stages de Master dans un cabinet de conseil spécialisé dans le travail à distance et les espaces de coworking (cela remonte déjà à 2012 !). Je pense que ça m’a aidé à prendre conscience plus rapidement que les autres, et à un moment où ce n’était pas encore très évident, des maux du monde du travail : présentéisme, réunionite, faible compétence managériale, manque de réflexion sur les questions de bien-être et d’équilibre vie privée / vie professionnelle etc. Je crois que ça a fait naître en moi l’envie de faire changer les choses, pour créer un monde du travail moins subordonnant et plus enthousiasmant. Et je crois que cette vocation se marie bien avec mon tempérament agitateur, puisque j’aime depuis toujours remettre en cause le statu quo.

Mon expérience de consultant en management à Accenture a renforcé mes convictions, puisque j’ai pu observer et accompagner des organisations paralysées par des excès de procédures, fragilisées par des tensions contradictoires entre volonté de centralisation d’une part et besoin de donner du sens et de l’autonomie d’autre part, et hésitantes sur les questions d’émancipation au travail.

En tant que responsable de la transformation RH et culturelle du groupe Accor lors la phase aiguë de la crise COVID, j’ai pu déployer une partie de mes convictions pour aider à orienter l’effort de réorganisation du groupe vers plus de flexibilité et de nouvelles pratiques managériales.

Enfin, le point d’orgue de ma carrière est clairement l’opportunité qui m’a été donnée par Ubisoft d’être le directeur global du futur du travail et de la stratégie RH, dans un contexte post-COVID de crise de l’attraction et de la rétention des talents. J’ai pu faire un diagnostic précis de ce nouveau rapport au travail, qui s’articule dans un contexte de mutations sociales, sociétales, générationnelles et technologiques très importantes, et créait de fait un terrain fertile pour tester et mettre en œuvre des pratiques nouvelles auxquelles je réfléchis depuis plus de 10 ans ! C’est ainsi que j’ai pu travailler sur des projets tels que la politique de télétravail par activité, le Work From Anywhere (qui permet aux collaborateurs de l’UE de travailler jusqu’à 20 jours par an dans n’importe quel autre pays de l’UE), la personnalisation de l’expérience employé, ou encore l’impact de l’IA dans les processus RH.

Quels sont, selon vous, les grands défis auxquels les entreprises doivent faire face en matière de gestion des ressources humaines ?

Le défi le plus important pour la fonction RH aujourd’hui se situe dans son rôle d’équilibriste entre ses missions régaliennes traditionnelles (respect du droit et de la conformité, gestion équitable et saine des effectifs, gestion de la paie etc.) et des missions de développement RH qui prennent une place de plus en plus forte à mesure que la tension au recrutement et à la rétention s’accroît.

Ancrée dans sa vocation régalienne, la fonction RH a pendant (trop) longtemps été la fonction qui dit « non », puisqu’averse au risque par nature. Elle doit aujourd’hui au contraire devenir une fonction qui crée de la valeur humaine – qui se transformera en valeur business -, en prenant des risques, et donc en disant « pourquoi pas ».

Cela va de pair avec un autre enjeu majeur de la fonction qui est celui de la personnalisation de l’expérience employé. L’ANDRH a mené une étude auprès des DRH, et ces derniers sont près de 60% à déclarer que la personnalisation sera l’enjeu RH numéro 1 d’ici à 2030. Cela montre un changement de logiciel : nous passons d’une logique égalitaire, qui a consisté pendant des décennies à offrir la même à chacun pour tenter d’obtenir la paix sociale, à la logique de l’équité, qui consiste à offrir la juste solution à chacun en fonction de sa situation. Et c’est bien légitime : nous n’avons pas les mêmes besoins en fonction que l’on soit un jeune diplômé, un pré-retaité ou un jeune parent ! Cette logique de personnalisation est désormais centrale pour répondre aux attentes de candidats et de salariés qui ont un rapport au travail beaucoup plus transactionnel, et qui estiment que le travail doit s’insérer harmonieusement dans leur vie, et non l’inverse.

Enfin, on ne peut pas parler des enjeux RH sans aborder la question des évolutions technologiques, au premier rang desquelles on trouve évidemment l’IA. L’intelligence Artificielle va en effet révolutionner la manière dont on opère la plupart des processus RH, d’abord en aidant à l’automatisation d’un certain nombre de tâches rébarbatives ou liées à la conformité (comme la vérification ou l’édition de documents légaux, la réponse aux questions fréquentes des employés, certains calculs de rémunération ou liés aux congés etc.), mais surtout en agissant en « sparring partner » sur les processus RH liés au développement des collaborateurs : recommandations de parcours de formation ou de carrière, aide au recrutement, analyse de verbatims ou de tendances liées aux enquêtes d’engagement etc. Il est cependant important de noter que pour donner son plein potentiel, l’IA a besoin de données source de qualité, ce qui est aujourd’hui un défi pour la grande majorité des organisations.

En quoi votre collaboration avec Capstan Avocats s’inscrit-elle dans ces transformations et apporte-t-elle des solutions concrètes ?

En tant que leader du droit social en France, CAPSTAN Avocats connaît déjà très bien les enjeux et les actualités de ses clients. Selon moi, le droit est la traduction des dynamiques et des aspirations sociales et sociétales qui encadrent une société dans une période donnée. L’expertise que j’apporte en matière de prospective et d’innovation RH, couplée à la maestria juridique de CAPSTAN Avocats et leur vision opérationnelle, pourra permettre de construire des solutions encore plus pragmatiques, solides et innovantes pour répondre aux enjeux RH d’aujourd’hui et de demain des entreprises. Et ces solutions seront indispensables à ces dernières pour survivre et prospérer dans un contexte de guerre des talents qui va continuer de s’accentuer, et d’accélérations des mutations sociales, sociétales et technologiques, qui vont appeler à créer (et à encadrer) des pratiques nouvelles.

Je suis très heureux de pouvoir collaborer avec CAPSTAN Avocats car nos visions conjointes vont permettre de dépasser les seuls cadres prospectifs et théoriques habituels pour aboutir à des solutions vraiment concrètes et utiles aux organisations, mais également en phase avec les attentes du moment. C’est tout de même un programme plus qu’enthousiasmant !

Pour relever les défis liés aux transformations organisationnelles et managériales, CAPSTAN Avocats enrichit son approche avec la vision de Kévin BOUCHAREB, ancien directeur mondial « Futur du travail » et stratégie RH.

Cette collaboration vise à combiner notre maîtrise du droit social avec des perspectives novatrices pour répondre aux nouveaux enjeux sociaux, technologiques et générationnels.

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