Conditions de travail

Le Code du travail prĂ©voit l’interdiction « de laisser entrer ou sĂ©journer dans les lieux de travail des personnes en Ă©tat d’ivresse. Â» (C. trav., art. R. 4228-21).

L’employeur peut donc sanctionner disciplinairement un salarié qui serait en état d’ébriété dans l’entreprise.

1. Comment dĂ©montrer l’imprĂ©gnation alcoolique d’un salariĂ© ?

La jurisprudence consacre la possibilité pour l’employeur de pratiquer des contrôles d’alcoolémie, par le biais d’alcooltests, tout en encadrant cette pratique.

En effet, son utilisation ne peut pas ĂŞtre systĂ©matique, et doit poursuivre le seul objectif de prĂ©venir ou de faire cesser une situation dangereuse (CE, 12 novembre 1990, n° 96721)

En pratique, la Cour de cassation conditionne la licĂ©itĂ© du contrĂ´le d’alcoolĂ©mie en entreprise au respect des garanties suivantes :

  • Le contrĂ´le doit ĂŞtre prĂ©vu par le règlement intĂ©rieur ;
  • Le salariĂ© a la possibilitĂ© de contester le contrĂ´le ;
  • le contrĂ´le ne s’applique qu’aux salariĂ©s qui, par la nature de leur travail (exemple : travaux en hauteurs, conduite d’engins etc.) sont en mesure d’exposer les personnes ou les biens Ă  un danger (Cass. soc., 22 mai 2002, n° 99-45.878 ; Cass. soc., 31 mars 2015, n°13-25.436) 

Le règlement intérieur est donc le support juridique incontournable pour mettre en place un dispositif de contrôle d’alcoolémie. Ainsi, même si l’effectif de l’entreprise est inférieur à 50 salariés et n’impose pas la mise en place obligatoire de celui-ci, il devra être instauré pour permettre de recourir au contrôle d’alcoolémie.

Par consĂ©quent, il est primordial que les formalitĂ©s d’adoption, de dĂ©pĂ´t et d’affichage du règlement intĂ©rieur aient Ă©tĂ© accomplies de manière rĂ©gulière. Si tel n’est pas le cas, le règlement intĂ©rieur et le dispositif de contrĂ´le d’alcoolĂ©mie sont inopposables au salariĂ©, et le licenciement, qui s’appuierait sur l’imprĂ©gnation alcoolique du salariĂ© constatĂ©e par ce dispositif, pourrait ĂŞtre jugĂ© sans cause rĂ©elle et sĂ©rieuse (Cass. soc., 4 nov. 2015, n°14-18.574).

2. La constatation de l’état d’ébriĂ©tĂ© du salariĂ© suffit-elle Ă  justifier son licenciement disciplinaire ?

Afin d’apprécier la faute du salarié et la proportionnalité de la sanction, la jurisprudence prend en compte divers éléments, notamment à l’ancienneté du salarié, à la récidive du comportement fautif, et à la tolérance de l’employeur sur la consommation d’alcool dans l’entreprise.

L’élément déterminant est toutefois la nature du poste occupé par le salarié en état d’ébriété.

En effet, si le salarié occupe un poste à risque et/ou à responsabilité, la jurisprudence considère que son imprégnation alcoolique fait courir un risque à l’intéressé, aux tiers et peut altérer le bon fonctionnement du service.

Ă€ titre d’exemple, le licenciement pour faute grave a Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme justifiĂ© :

  • Pour le convoyeur de fond en Ă©tat d’ébriĂ©tĂ© qui portait une arme de service (Cass. soc., 14 juin 1994, n° 92-43.390) ;
  • Pour un pompier qui se trouvait en Ă©tat d’Ă©briĂ©tĂ© sur son lieu de travail, un site classĂ© Seveso (Cass. soc., 7 dĂ©cembre 2016, n° 15-24.56) ;
  • Pour un directeur d’agence qui se trouvait rĂ©gulièrement sur son lieu de travail en Ă©tat d’Ă©briĂ©tĂ© après le dĂ©jeuner, ce qui risquait de ternir durablement l’image de l’entreprise (Cass. soc., 9 fĂ©vrier 2012, n° 10-19.496)

3. Le salariĂ© peut-il s’appuyer sur la marge d’erreur de l’appareil de contrĂ´le pour contester le bienfondĂ© de son licenciement ?

Les dispositifs de contrĂ´le de l’alcoolĂ©mie ont des marges d’erreur qui sont tolĂ©rĂ©es. Un arrĂŞtĂ© du 8 juillet 2003 relatif au contrĂ´le des Ă©thylomètres indique ainsi que les erreurs maximales tolĂ©rĂ©es, en plus ou en moins, applicables lors de la vĂ©rification pĂ©riodique ou de tout contrĂ´le en service des Ă©thylomètres sont  :

  • 0,032 mg/l pour les concentrations en alcool dans l’air infĂ©rieures Ă  0,400 mg/l ;
  • 8 % de la valeur mesurĂ©e pour les concentrations Ă©gales ou supĂ©rieures Ă  0,400 mg/l et infĂ©rieures ou Ă©gales Ă  2,000 mg/l ;
  • 30 % de la valeur mesurĂ©e pour les concentrations supĂ©rieures Ă  2,000 mg/l

Dans un arrêt du 26 février 2025, la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur l’impact de ces marges d’erreur sur la constatation de l’état d’ébriété d’un salarié qui, occupant un poste à risque, a été licencié pour faute grave.

En l’espèce, le salarié contrôlé à 0,28 mg/l d’air expiré affirmait que l’application des marges d’erreurs précitées ainsi que celle mentionnée dans la notice de l’éthylotest (20%) ramenait son taux entre 0,22 et 0,24 mg/l, soit en dessous de la limite réglementaire de 0,25 mg/l. Il considérait donc qu’il existait un doute sur son imprégnation alcoolique qui devait lui profiter.

La Cour de cassation n’a toutefois pas retenu cette argumentation liĂ©e aux marges d’erreur. En effet, elle a considĂ©rĂ© que ses fonctions d’opĂ©rateur polyvalent sur un chantier de meulage caractĂ©risaient un poste Ă  risque, et rappelĂ© que l’employeur Ă©tait tenu « d’une obligation de sĂ©curitĂ© dont toute violation pouvait entraĂ®ner une mise en danger compte tenu des risques particuliers prĂ©sentĂ©s par le site sur lequel le salariĂ© travaillait ».

Au regard de ces éléments, la Cour de cassation a considéré que le salarié avait commis une « violation de ses obligations contractuelles rendant impossible son maintien dans l’entreprise » même si le taux constaté se situait dans la marge d’erreur tolérée.

4. Taux d’alcoolĂ©mie au-dessus de la normale et Ă©tat d’ébriĂ©tĂ© sont-ils synonymes ?

L’employeur doit choisir avec soin le motif qu’il énonce dans la lettre de licenciement.

A titre d’exemple, un salariĂ© travaillant en hauteur avait Ă©tĂ© licenciĂ© pour faute grave. La lettre visait « l’exĂ©cution de travaux en hauteur avec un taux d’alcoolĂ©mie supĂ©rieur Ă  la normale’ Â» et non l’état d’ébriĂ©tĂ©. Or, ce sont deux notions diffĂ©rentes.

La Cour de cassation a alors considĂ©rĂ© que les juges du fond ne pouvaient pas admettre la lĂ©gitimitĂ© du licenciement en retenant le grief d’exĂ©cution d’un travail en hauteur en Ă©tat d’ivresse, alors que la lettre de licenciement ne le visait pas (Cass. soc., 8 mars 2023, n 21-25. 78).

5. Quelles sont les consĂ©quences d’une Ă©ventuelle pathologie du salariĂ© liĂ©e Ă  l’alcool ?

L’employeur doit être vigilant afin de distinguer le comportement fautif du salarié de celui qui résulte d’une pathologie du salarié liée à l’alcool.

En effet, dans ce dernier cas, et en dehors de tout contexte fautif, l’employeur, garant de la santé et de la sécurité de ses salariés sur leur lieu de travail, peut orienter le salarié vers le médecin du travail. Le cas échéant, ce dernier statuera sur l’aptitude du salarié à occuper son poste.

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