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En restreignant la participation du suppléant aux seules réunions où le titulaire est absent, la législation sur le fonctionnement du Comité social et économique (CSE) marque une profonde rupture avec celle applicable au comité d’entreprise (CE). La présence systématique des suppléants aux réunions du CE était d’un intérêt discutable, raison pour laquelle le législateur a souhaité cette évolution. Néanmoins, son abrogation a été vécue par nombre de représentants du personnel comme une grave atteinte à leurs prérogatives.

Cette question a été âprement discutée lors de la mise en place des CSE dans de nombreuses entreprises ; les organisations syndicales tentant de rétablir conventionnellement ce que le législateur leur avait ôté. La détermination des syndicats à défaire cette disposition ou, à tout le moins, à en atténuer les effets, s’est également manifestée sur le terrain judiciaire, ce qu’illustre l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 11 septembre dernier (Cass. soc., 11 septembre 2019, n° 18-23.764).

S’il n’est évoqué qu’indirectement, c’est bien ce sujet qui était au cœur du litige.

UN PRINCIPE BIEN ETABLI : UN SALARIE NE PEUT ETRE MEMBRE ELU DU CE ET EN ETRE REPRESENTANT SYNDICAL

En l’occurrence, un membre suppléant du CSE d’une entreprise de plus de 300 salariés avait, quelques jours après son élection, été désigné par le syndicat Force ouvrière en qualité de représentant syndical auprès du même comité. L’objectif était clair et le syndicat n’en faisait d’ailleurs pas mystère ; il s’agissait de permettre au suppléant ainsi désigné de siéger à toutes les réunions du CSE en sa qualité de représentant syndical.

L’employeur a contesté cette désignation en invoquant l’incompatibilité entre les deux mandats. Pour ce faire, il pouvait se prévaloir d’une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation selon laquelle le même salarié ne pouvait être à la fois membre élu du CE et en être représentant syndical ; les pouvoirs attribués par la loi à l’une et à l’autre de ces fonctions étant différents (Cass. soc. 17 juillet 1990, n° 89-60.729).

La jurisprudence en matière de CE était bien établie : le même salarié ne pouvait être à la fois membre élu du CE et en être représentant syndical 

Une telle solution semblait parfaitement justifiée. En effet, comme certains ont alors pu l’écrire, le représentant syndical a un rôle de « conseil et de contestation » alors que le membre élu, qu’il soit titulaire ou suppléant, a davantage un rôle de « gestionnaire ». Il n’est évidemment pas envisageable qu’une même personne remplisse ces deux rôles dans une même instance au sein de laquelle elle serait investie de pouvoirs différents et pourrait être amenée à siéger à deux titres.

Or, si ce n’est leur présence aux réunions, les ordonnances « Macron » n’ont absolument pas modifié les fonctions des suppléants du CSE par rapport à celles dont bénéficiaient leurs homologues des comités d’entreprise. Il n’y avait donc a priori aucune raison qu’une solution différente s’impose au CSE.

UN PRINCIPE APPLICABLE AU CSE ?

Selon le syndicat toutefois, cette jurisprudence était désormais obsolète dans la mesure où, précisément, en présence du titulaire, le membre élu suppléant du CSE ne siège pas. Dès lors, ses fonctions ne sont pas incompatibles, hors absence du membre titulaire, avec celles de représentant syndical auprès du comité.

Cet argument ne pouvait pas prospérer. Il postulait que la contradiction entre les deux mandats n’existait qu’au cours des réunions. Autrement dit, d’après le syndicat, hors les cas où le suppléant était amené à remplacer un titulaire et à être présent en réunion, il n’y avait nul antagonisme. Or, indépendamment de leur participation physique aux réunions du comité, les suppléants demeurent des membres à part entière de la délégation élue du CSE et sont, à ce titre, investis de pouvoirs spécifiques dont sont dénués les représentants syndicaux (siéger dans les commissions du CSE ou assister aux séances du conseil d’administration ou de surveillance de la société, etc.).

On notera ensuite que la solution suggérée en filigrane par le syndicat et consistant à admettre une forme d’exercice « intermittent » des deux mandats se serait probablement avérée préjudiciable à la représentation du personnel.  En effet, à n’importe quel moment, le suppléant peut être amené à devoir remplacer un titulaire. Ce remplacement peut intervenir ponctuellement et de manière impromptue en cas d’empêchement soudain du titulaire, mais également être pérenne si l’absence de ce dernier devait se prolonger dans le temps. Autant de situations où, en cas de cumul, le CSE serait privé d’un représentant syndical dont le mandat se trouverait neutralisé.

Sans surprise donc, la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence en affirmant que le mandat d’élu au CSE (suppléant et a fortiori titulaire) était incompatible avec celui de représentant syndical au comité.

Remarque : dans une telle hypothèse, le juge ne peut pas annuler directement l’un et/ou l’autre des mandats.

Il doit enjoindre au salarié d’opter entre ses deux fonctions dans un certain délai (un mois en l’espèce), et ce n’est qu’à défaut pour l’intéressé d’avoir choisi que son mandat de représentant syndical sera alors déclaré nul.