Rupture

L’année dernière, un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation avait confirmé que le procès-verbal de conciliation pouvait porter à la fois sur la rupture ET l’exécution du contrat de travail (Cass. soc., 24 avril 2024, n°22-20.472, commenté dans « Procès-verbal de conciliation : on peut concilier sur la rupture ET sur l’exécution ! »). Dans une décision du 5 février 2025, la Cour de cassation revient sur ce sujet (Cass. soc., 5 février 2025, n°23-15.2025).

Quelle portée pour le PV de « conciliation totale » signé en référé ?

Dans cette affaire, une salariée avait vu son contrat de professionnalisation rompu. Elle a saisi le Conseil de prud’hommes en référé pour se voir remettre des documents de fin de contrat. A l’occasion de l’audience de référé, les parties ont signé un procès-verbal de « conciliation totale ». Puis, la salariée a saisi le juge prud’homal en vue d’obtenir des sommes au titre de la rupture du contrat de travail.

La Cour d’appel déclare irrecevable les demandes de la salariée en raison de l’existence du procès-verbal de conciliation, signé à l’occasion de l’audience de référé qui prévoyait le versement de dommages-intérêts.

La salariée forme alors un pourvoi en cassation, reprochant à la Cour d’appel d’avoir déclaré ses demandes irrecevables. Elle soutient que les dommages-intérêts versés dans le cadre du procès-verbal de conciliation n’avaient pour objet que de l’indemniser du retard pris dans la délivrance des documents de fin de contrat, et n’avaient pas pour effet de la faire renoncer à toute action en contestation de la rupture de son contrat de travail.

Cette argumentation est suivie par la Cour de cassation qui vise :

  • l’article 2048 du Code civil (applicable aux transactions) qui prévoit que la transaction se referme dans son objet et
  • l’article R. 1454-11 du Code du travail qui prévoit que l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

Par conséquent, le procès-verbal de « conciliation totale » signé devant la formation des référés du Conseil de prud’hommes ne pouvait que concerner la question particulière de la remise des documents de fin de contrat (et la question d’impayés de salaires) puisque la salariée ne contestait pas, alors, la rupture de son contrat de travail. La haute juridiction considère que le fait que le procès-verbal prévoit que le versement de cette somme « à titre d’indemnité globale, forfaitaire, transactionnelle et de dommages et intérêts pour mettre fin au litige » ne signifie pas que la salariée a renoncé à toute instance ou action née ou à naître au titre de la rupture du contrat de travail.

L’arrêt d’appel est donc cassé.

Remarque

Dans cette affaire, la qualification juridique du procès-verbal de « conciliation totale » est délicate. En effet, ce procès-verbal intervient, non pas devant le bureau de conciliation et d’orientation, mais devant la formation de référé. La Cour de cassation a d’ailleurs mis l’expression « conciliation totale » entre guillemets dans sa propre décision. En outre, ce document fait expressément référence au régime de la transaction (et non du procès-verbal de conciliation), ce qui amène d’ailleurs la haute juridiction à viser opportunément l’article 2048 du Code civil relatif à la transaction, lequel précise que celle-ci se referme dans son objet.

Transaction ou PV de conciliation : attention à l’objet !

La solution dégagée ici est assez similaire à la jurisprudence classique s’agissant des protocoles d’accord transactionnel : s’il est possible de demander au salarié de renoncer à toute instance et action future, la transaction se referme malgré tout sur son objet. Cet objet est déterminé par le préambule, qui doit donc être rédigé avec le plus grand soin. S’agissant du procès-verbal de conciliation, l’objet du procès-verbal s’infère du contenu de la saisine du salarié.

Cela signifie-t-il que la clause prévoyant que le salarié renonce à toute instance et action concernant tant l’exécution que la rupture du contrat de travail (dont l’arrêt d’avril 2024 a confirmé la validité), ne peut être valablement opposée à un salarié :

  • qui agit d’abord sur la rupture du contrat de travail,
  • puis signe un procès-verbal de conciliation,
  • puis souhaite agir sur l’exécution du contrat de travail ?

A notre avis, il s’infère de la jurisprudence que le juge est fondé à exercer un contrôle au regard de l’objet du premier contentieux ayant amené à la signature de l’accord. Si le second contentieux est manifestement connexe, et que l’intention des parties était de l’englober dans l’accord, alors la demande nouvelle serait irrecevable. A cet égard, la rédaction de la clause de renonciation doit être particulièrement soignée.

Si les deux litiges ne sont pas connexes, l’accord se renfermant dans son objet, la seconde demande pourra être jugée recevable.

On peut donc continuer à prévoir des clauses de renonciation générale, mais il faut garder à l’esprit que le juge conserve la possibilité d’un contrôle sur leur validité au regard des éléments du litige.

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