De façon générale, une plaisanterie – poisson d’avril ou pas – ne constitue pas à elle seule une faute justifiant une sanction disciplinaire. Elle pourra toutefois être prise en compte, parmi d’autres éléments, lorsqu’elle s’inscrit dans un contexte plus global de comportement fautif et/ ou inapproprié du salarié
Voici quelques exemples de contentieux dans lesquels les juges du fond ont été confrontés à l' »humour » et l’ironie de certains salariés… et à leurs poissons d’avril !
Harcèlement moral
Dans un contentieux en harcèlement moral, la Cour d’appel de Grenoble souligne, entre autres éléments, que le salarié objective qu’il a directement et personnellement subi les reproches de son employeur quant à ses résultats selon une tonalité parfaitement déplacée et ironique employée par son supérieur hiérarchique dans un courriel du 4 mai commentant les résultats des agences sous sa responsabilité : « je suis obligé de rire quand je regarde la facturation. Je connaissais le poisson d’avril mais là...Il y a mai, fais ce qu’il te plait…zut c’est vrai en mai, il y a les ponts, des congés surtout que l’on ne le savait pas car personne n’avait regardé le calendrier, je compatis, travailler autant du matin tôt jusqu’au soir tard sans relâche, tous les jours pour aussi peu de résultats !!! il y a sûrement des actions à mettre en place car cela doit être frustrant.’« .
La Cour indique ensuite que l’ensemble des éléments de fait, matériellement établis par le salarié et pris dans leur globalité, laisse supposer qu’il a été victime de la part de son employeur de faits répétés de harcèlement moral ayant consisté en la mise en application de méthodes de management parfaitement inadaptées et nocives, qui sous couvert d’un objectif de progression des résultats de l’entreprise par des techniques de motivation des équipes trouvant en principe leur place dans le cadre du pouvoir de direction et de contrôle de l’employeur, se sont en réalité manifestées, dans un contexte de réorganisation de l’entreprise en suite de l’arrivée d’ un nouveau tandem de direction, par un recours généralisé, récurrent et inapproprié à des messages mêlant ironie et menaces directes ou voilées à l’égard des salariés quant à leurs conditions de travail, voire à leur pérennité dans la société (CA Grenoble, 2 juin 2022, n° 20/02655).
Dans une affaire plus ancienne, au titre des faits permettant de présumer l’existence d’un harcèlement, le salarié produit un petit billet anonyme rédigé de la façon suivante: « Fainéant ! J’espère que ces vacances se sont bien passées, de plus qu’elles se sont passées aux frais de la copropriété! Et pourtant le boulot ne manque pas! Il ne suffit pas de sortir les balais – l’idéal serait que les parties commune soient lavées toutes les semaines et non tous les mois ! Le courage semble vous manquer et ce n’est pas un poisson d’avril ! « .
Cette lettre, parmi d’autres élements, conduisent la Cour a retenir que le salarié a subi des injures répétées, sur son lieu de travail et en lien avec son emploi, sans réaction de l’employeur, ayant pour effet une dégradation de sa santé. Ce faisant, il démontre l’existence d’un harcèlement (CA Douai, 28 sept. 2007, n° 06/02771).
Faute disciplinaire
Dans un contentieux relatif à un licenciement pour faute grave, une salarié atteste que le 1er avril 2019, le salarié en cause, directeur d’exploitation dans un EHPAD, s’est placé devant le restaurant et a dit à chaque résident « vos lacets sont défaits » puis « poisson d’ avril« . Selon elle, la plupart des résidents n’ont pas compris. Elle précise lui avoir dit que ce genre de plaisanterie n’était peut-être pas très adapté mais, indique-t’elle, il a continué en disant que c’était drôle. Pour la Cour d’appel de Caen, même à la supposer inadaptée, cette plaisanterie inoffensive ne saurait s’analyser en une faute (CA Caen, 13 mars 2025, n° 23/02026).
Dans une espèce jugée par la Cour d’appel de Versailles, le salarié, licencié pour faute grave pour avoir abusé de sa liberté d’expression en donnant un avis sur un projet d’harmonisation de dispositions conventionelles suite à une fusion, démontre par la production de courriels échangés avec l’employeur, que celui-ci a supporté sans protester, des échanges très familier et des mises en cause personnelles ; qu’il n’a pas jugé bon d’avertir le salarié des limites de la liberté d’expression et ne lui a adressé aucun reproche sur la liberté de ton employée à son égard. Ainsi, il a déjà supporté quele salarié lui écrive, à propos de l’attribution de tickets restaurant: « expliquez moi de quel chapeau vous sortez vos barèmes de calcul. D’autant plus que vous m’annoncez cette fantaisie aujourd’hui avec un effet rétraoactif au 1er avril! Sympa votre poisson ! que ma tête ne vous revienne pas est une chose, que vous vous la payez en est une autre!« . A l’occasion d’un différend fin 2007 sur une inscription de du salarié à une formation, ce dernier a écrit: « on pourrait s’amuser en vous lisant d’apprendre qu’une direction des ressources humaines peut être totalement désorganisée par… la seule absence d’un salarié (et..) Ne trouvez vous pas contradictoire vos propos repoussant ma formation à la saint Glinglin (…) Faut-il que je m’habitue dès à présent aux promesses non tenues de la nouvelle direction« .
La Cour d’appel relève que la liberté de ton que s’est arrogée le salarié est ancienne et n’a donné lieu à aucune sanction ni remarque. Elle juge ensuite que les propos reprochés au salarié, qui s’inscrivaient dans un mode d’expression déjà toléré à plusieurs reprises par l’employeur sans qu’il n’adresse au salarié aucune remontrance n’ont pas, au regard du contexte dans lequel ils ont été émis et des personnes à qui il était destiné, excédé le droit d’expression du salarié qui lui est reconnu par le droit du travail. Le licenciement est annulé (CA Versailles, 4 décembre 2014, n° 12/03370).
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