Rupture

La loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022, complétée par le décret n° 2023-275 du 17 avril 2023, prévoit – sous certaines conditions – que le salarié qui abandonne volontairement son poste et qui, après mise en demeure de justifier son absence et de reprendre ses fonctions dans un délai d’au moins 15 jours (délai fixé par l’employeur), ne donne pas suite, est réputé avoir démissionné à l’issue dudit délai (C. trav., art. L. 1237-1-1 et R. 1237-13).

    Computation du délai fixé par la mise en demeure, pouvoir d’appréciation de l’employeur sur le motif légitime avancé par le salarié, reprise du travail hors délai, etc… L’introduction de ce dispositif a suscité, et suscite encore, de nombreuses questions et incertitudes sur le plan juridique.

    Conciliation de la présomption de démission avec le statut de salarié protégé

    Récemment, la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 6 mars 2025, n°24/02319) s’est prononcée sur l’une d’entre elles, à savoir la conciliation entre le régime de la présomption de démission et les garanties attachées au statut de salarié protégé.

    Dans l’affaire à l’origine du litige, après avoir mis en demeure un salarié protégé « de justifier (son) absence ou de reprendre (son) poste » après une absence, l’employeur l’a considéré comme démissionnaire sur le fondement des dispositions légales.

    Confirmant la décision rendue en référé par le Conseil de prud’hommes de Meaux, la Cour d’appel, après avoir souligné que « le code du travail ne prévoit aucune disposition spécifique de demande d’autorisation de rupture pour cause de démission présumée« , considère que la rupture du contrat de travail est entachée d’irrégularité, en ce qu’elle a été opérée sans autorisation préalable de l’inspection du travail, en violation du régime protecteur applicable aux salariés investis d’un mandat représentatif.

    La juridiction précise à cet égard que « s’il est admis que le statut protecteur ne s’applique pas lorsque le salarié décide de rompre unilatéralement son contrat de travail, ce qui s’explique par le fait que la rupture résulte de la seule volonté du salarié et ne fait pas intervenir l’employeur, en revanche, la présomption légale de démission qui fait intervenir l’employeur dans la rupture du contrat de travail, ne dispense pas ce dernier de solliciter l’inspection du travail ». 

    La Cour d’appel de Paris considère en définitive cette rupture comme une « rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur« … Cette qualification, bien loin des intentions initiales du législateur qui était d’instaurer au bénéfice de l’employeur une sorte de « prise d’acte du contrat de travail aux torts du salarié », a de lourdes conséquences pour l’employeur : pour une rupture en violation du statut protecteur, c’est la nullité qui est encourue.

    Remarque

    La Cour d’appel relève, au surplus, qu’en l’espèce, le salarié ne peut être considéré comme ayant abandonné volontairement son poste : son absence était due à une mise à pied conservatoire dans l’attente de son licenciement disciplinaire.

    L’employeur s’étant vu notifier un refus d’autorisation de licenciement pour motif disciplinaire, il avait demandé au salarié de reprendre le travail. Celui-ci prétendait néanmoins toujours être « en attente d’une date de réintégration« . 

    Le formalisme de la mise en demeure

    Le Conseil d’État, saisi d’un recours en annulation dirigé contre le décret du 17 avril 2023, a, dans une décision du 18 décembre 2024 (CE, 18 décembre 2024, n°473640), précisé les exigences formelles encadrant la mise en demeure adressée au salarié (voir « Démission pour abandon de poste : une précision importante du Conseil d’Etat sur la mise en demeure!« ).

    Dans son arrêt, la Cour d’appel de Paris se prononce à son tour sur ce formalisme : elle estime que la mise en demeure doit enjoindre au salarié de justifier son absence et de reprendre son poste, sans lui laisser le choix entre l’un ou l’autre.

    Cette position n’est pas conforme à celle du Conseil d’Etat, pour lequel « la mise en demeure adressée en application du premier alinéa de l’article L. 1237-1-1 du code du travail a pour objet de s’assurer du caractère volontaire de l’abandon de poste du salarié, en lui permettant de justifier son absence ou de reprendre le travail dans le délai fixé par l’employeur ».

    En conclusion, les imprécisions textuelles et l’insécurité juridique font de la présomption de démission un dispositif délicat à manier et porteurs de risques. Ces risques pèsent exclusivement sur les employeurs qui supportent les dommages financiers importants en cas de requalification de rupture.

    Par ailleurs, à notre connaissance, la Cour de cassation ne s’est encore jamais prononcée sur ces questions. Il convient de rester prudent sur les réponses qu’elle pourrait apporter.

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