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Dans un arrêt du 11 décembre 2024 (n° 23-13.332), la Cour de cassation se prononce pour la première fois sur une question qui pose de nombreuses difficultés pratiques aux entreprises : quelle est la qualification d’une mise à pied disciplinaire ?  Modification du contrat de travail Changement des conditions de travail ? Peut-elle être imposée à un salarié protégé ?

Le possible refus d’une sanction disciplinaire modifiant le contrat de travail

En principe, une sanction décidée par l’employeur dans le cadre de son pouvoir disciplinaire s‘impose au salarié. Un refus de s’y soumettre constitue une faute.

Il en va différemment lorsque la sanction envisagée entraîne une modification du contrat de travail, comme cela est par exemple le cas en matière de rétrogradation ou de mutation. La sanction envisagée n’est alors qu’une proposition : l’employeur doit informer l’intéressé de sa faculté de refuser. En cas de refus, l’employeur peut renoncer à la sanction ou en prononcer une autre, qui se substituera à la mesure refusée.

Concernant les salariés bénéficiant, du fait de l’exercice d’un mandat de représentant du personnel, d’une protection spéciale contre le licenciement, les hypothèses de refus sont plus larges. En effet, aucune modification du contrat de travail ni changement des conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé, qui doit donner systématiquement son accord exprès.

Quelle qualification pour la mise à pied disciplinaire ?

La question posée dans l’arrêt du 11 décembre 2024 était celle de savoir si la mise à pied disciplinaire est une sanction qui entraine une modification du contrat de travail ou un changement des conditions de travail ?

Cette mesure, bien que provisoire, affecte la présence du salarié dans l’entreprise et sa rémunération pendant sa période d’application. Certains ont donc pu considérer qu’elle constituait a minima un changement des conditions de travail de l’intéressé.

A contrario, il pouvait être soutenu que le seul effet de la mise à pied disciplinaire est en réalité de suspendre le contrat de travail du salarié concerné pendant la durée décidée par l’employeur. L’incidence sur la rémunération n’est qu’une conséquence temporaire et indirecte de la sanction, et ni sa structure, ni son montant, ni d’ailleurs aucune autre condition d’exercice de l’activité du salarié n’est modifiée. Le contrat de travail continue de produire les mêmes effets à l’issue de la sanction. Par conséquent, la mise à pied n’entraîne ni modification du contrat ni changement des conditions de travail.

Quant à la jurisprudence de la Cour de cassation, elle n’était pas très claire. Ainsi dans un arrêt du 23 juin 1999, cette dernière, après avoir relevé qu’une mise à pied n’avait pas pour effet de suspendre l’exécution du mandat de représentant du personnel, avait jugé qu’en l’absence de refus par le salarié d’une telle sanction, l’employeur n’était pas tenu de mettre en œuvre la procédure spécifique de licenciement (Cass. soc., 23 juin 1999, n° 97-41.121).

Certains auteurs et juridictions du fond s’étaient saisis de cette décision pour retenir que, lue a contrario, elle reconnaissait la possibilité, pour le salarié protégé, de refuser sa mise à pied disciplinaire. Ils en déduisaient que ce dernier devait nécessairement être informé de cette faculté préalablement à la notification de la sanction, faute de quoi elle encourait la nullité.

L’arrêt du 11 décembre : enfin une position claire de la Cour de cassation !

Le 11 juillet 2017, un représentant du personnel se voit notifier une mise à pied disciplinaire de 5 jours.

Saisis d’une demande d’annulation, le Conseil de prud’hommes, puis la Cour d’appel d’Aix-en-Provence font droit à ses demandes. Pour annuler la mise à pied, la Cour d’appel juge que celle-ci a entrainé une modification de la rémunération et de la durée du travail de l’intéressé pendant sa période d’application, de sorte que l’employeur aurait dû recueillir son accord préalable, et l’aviser de sa possibilité de refus (CA Aix-en-Provence, 2 décembre 2022, n° 19/04013).

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel : la mise à pied disciplinaire d’un salarié protégé n’emporte ni modification de son contrat de travail ni changement de ses conditions de travail, et n’est donc pas subordonnée à l’accord du salarié.

Dans cet arrêt, la Cour rappelle également que la mise à pied n’a pas pour effet de suspendre l’exécution du mandat de représentant du personnel.

Ce faisant, elle met fin à l’interprétation extensive qui avait pu être prêtée à sa jurisprudence antérieure.

Désormais le débat est tranché : la mise à pied disciplinaire d’un salarié, qu’il soit protégé ou non, n’est PAS subordonnée à son accord préalable !

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