Rupture

La présomption de démission pour abandon de poste en France : rappels

L’article L.1237-1-1 du Code du travail, issu d’un amendement à la loi Marché du travail du 21 décembre 2022 instaurant la présomption de démission pour abandon de poste, a deux ans et rares sont les employeurs désireux de célébrer cet anniversaire…

Pour mémoire, depuis l’entrée en vigueur de ce texte et de son décret d’application (codifié à l’article R.1237-13 du Code du travail), un salarié ayant abandonné volontairement son poste et ne reprenant pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier de son absence et de reprendre le travail dans le délai fixé par l’employeur, est présumé démissionnaire à l’expiration dudit délai.

Si l’on pouvait entendre l’intérêt économique et social d’exclure de la prise en charge par France Travail les salariés en situation d’abandon de poste et se féliciter, par ailleurs, de l’instauration au bénéfice de l’employeur d’une sorte de « prise d’acte du contrat de travail aux torts du salarié » telle qu’elle existait déjà pour ce dernier, force est de constater que les imprécisions textuelles et l’insécurité juridique générée par la possibilité de renverser, a posteriori, cette présomption au moyen de «motifs légitimes » non limitativement définis, en font, en réalité, un dispositif risqué pour les employeurs.

Débat autour de la computation du délai fixé au sein de la mise en demeure, pouvoir d’appréciation de l’employeur sur le « motif légitime » avancé par le salarié, incertitudes entourant les conséquences d’une invocation tardive dudit « motif légitime » ou d’une reprise du travail hors délai, etc. : les implications pratiques de cette réforme continuent de soulever nombre de questions, sans réponse claire à ce jour.

Face à ces imprécisions, ce sont les employeurs qui supportent le risque financier en cas de requalification de la démission présumée en licenciement sans cause réelle et sérieuse par un conseil de prud’hommes.

Au regard des interrogations et de l’insécurité juridique générées par ce texte malheureusement rédigé trop vite et sans concertation, on ne pouvait que se réjouir que sa mise en œuvre relève d’une simple faculté pour les employeurs, sans remise en cause de leur pouvoir disciplinaire à l’égard d’un salarié ayant incontestablement manqué à ses obligations contractuelles en abandonnant son poste.

Mais le Ministère du travail a suscité le doute dans un « Questions-Réponses » publié sur son site internet le 18 avril 2023, qui indiquait : « A contrario, si l’employeur désire mettre fin à la relation de travail avec le salarié qui a abandonné son poste, il doit mettre en œuvre la procédure de mise en demeure et de présomption de démission. Il n’a plus vocation à engager une procédure de licenciement pour faute » (Présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié, Questions réponses du Ministère du travail, 18 avril 2023)

Suite au grand nombre de réactions provoquées par cette position ministérielle pour le moins contestable, le « Questions-Réponses » a rapidement été retiré du site du Ministère du travail, laissant entières les interrogations qu’il avait soulevées.

Il faudra donc attendre les premières décisions judicaires pour dégager une ligne directrice à destination des employeurs confrontés à l’abandon de poste de leurs salariés.

Quel dispositif pour Monaco ?

Passée presque inaperçue à côté des dispositions relatives à la tant attendue rupture conventionnelle monégasque, la proposition de loi n° 259, portant modification de certaines dispositions de la loi n° 729 du 16 mars 1963 relative au contrat de travail modifiée et instituant la rupture conventionnelle du contrat de travail (Proposition de loi avec son exposé des motifs déposée au Conseil National le 28 juillet 2023), prévoit l’intégration dans l’ordre juridique monégasque d’un dispositif similaire à la présomption de démission pour abandon de poste du droit français.

Cette évolution législative était prévisible. Rappelons en effet que les salariés travaillant à Monaco relèvent du régime d’assurance chômage français.

Or, si la procédure de présomption de démission a été initialement présentée comme une « alternative »[1] à la disposition des employeurs monégasques au sein du rapport soumis aux conseillers nationaux, la version du texte adoptée par le Conseil National le 28 novembre 2023 pourrait être sujette à interprétation quant au caractère alternatif ou impératif du nouveau dispositif.

En effet, s’il a le mérite de préciser que « la reprise du travail par le salarié avant le terme du délai fixé (…) ne fait pas obstacle à la mise en œuvre de procédures disciplinaires », le texte reste silencieux quant à la possibilité pour l’employeur confronté à un abandon de poste, d’exercer, directement et exclusivement, son pouvoir disciplinaire à l’égard du salarié fautif en initiant, le cas échéant, une procédure de licenciement pour faute grave.

Par courrier du 27 mai 2024 adressé par S.E.M le Ministre d’Etat au Conseil National, le Gouvernement Princier a émis un avis favorable à la transformation de la proposition de loi n° 259 en projet de loi. Le texte définitif, éventuellement amendé par le Gouvernement, doit être déposé devant le Conseil National avant le 1er juin 2025 conformément au calendrier législatif monégasque.

Il faudra donc patienter encore quelques mois pour savoir si le Gouvernement Princier entend tirer des enseignements des difficultés générées par le dispositif en vigueur dans la « région économique voisine »[2] ou si les employeurs monégasques seront bientôt confrontés au même casse-tête que leurs pairs français.

[1]« La Commission a entendu instituer un dispositif à même d’offrir une alternative aux employeurs de la place. », Rapport du 15 novembre 2023 de la Rapporteure au nom de la Commission des Intérêts Sociaux et des Affaires Diverses sur la proposition de loi n° 259, portant modification de certaines dispositions de la loi n° 729 du 16 mars 1963 relative au contrat de travail modifiée et instituant la rupture conventionnelle du contrat de travail.

[2] Appellation désignant l’Etat français dans la législation monégasque.

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