Lorsqu’un salarié soustrait de façon frauduleuse un bien appartenant à son employeur, la valeur de ce bien doit-elle entrer en ligne de compte dans l’appréciation de la sanction ? Ou bien l’employeur est-il légitime à considérer que la seule nature des faits justifie la rupture du contrat de travail ?
A l’examen de la jurisprudence rendue par la Cour de cassation au cours de ces dernières années, on aurait pu penser que les juges entendaient donner toute sa force au principe de loyauté et considéraient que le vol commis par un salarié, quelles que soient les circonstances, justifie qu’il ne puisse plus demeurer dans les effectifs de l’entreprise.
Le vol : une faute grave peu importe les circonstances !
Dans un arrêt du 28 mars 2012, la Cour de cassation a d’ailleurs jugé, à propos de faits de vols reprochés au salarié que « ces agissements commis au préjudice d’un client de l’employeur caractérisent une faute grave, alors même que l’objet soustrait est de faible valeur et que le salarié auquel le manquement isolé est reproché, a une ancienneté importante et n’a fait l’objet d’aucun reproche antérieur » (Cass. soc., 28 mars 2012, n° 11-11.981 ; dans cette affaire, ancienneté de 27 ans et valeur de l’objet dérobé : 50,70 €).
De son côté, la Cour d’appel de Lyon a infirmé une décision de Conseil de prud’hommes, non pas pour juger un licenciement prononcé en raison du vol de marchandises sans cause réelle et sérieuse, mais pour affirmer qu’il ne fallait pas se limiter à la faute simple et que de tels faits de vol constituaient une faute grave (CA Lyon, 2 avril 2010, n° 09/01001).
Dans cette affaire, une hôtesse de caisse avait été interpellée à la fin de son poste en possession de 8 articles alimentaires pour une valeur totale de 36,24 €, alors que le ticket de caisse dont elle était en possession n’identifiait que 3 articles, lesquels avaient en outre été enregistrés uniquement pour des centimes d’euros.
Un arrêt surprenant de la CA de Paris
Dans une affaire similaire de soustraction de marchandises, la Cour d’appel de Paris vient, elle, de juger que le licenciement pour faute grave prononcé à l’encontre d’un salarié suite à une tentative de vol de marchandises était sans cause réelle et sérieuse (CA Paris, 24 avril 2024, n° 21/05217).
Dans cette affaire, un salarié, qui travaillait dans un supermarché avait tenté de sortir frauduleusement des denrées alimentaires (une boite de vache-qui-rit et un avocat). Et si le vol n’a finalement pas eu lieu, ce n’est pas parce que le salarié a finalement renoncé, mais en raison de la vigilance de l’agent de sécurité du magasin.
L’ancienneté du salarié était de 17 années.
Pour la Cour d’appel de Paris, « en raison de la modicité de l’objet de la tentative du vol et donc du préjudice pour la société, de l’ancienneté du salarié et de l’absence d’antécédent disciplinaire, la Cour estime que le licenciement pour faute grave constitue une sanction disproportionnée ».
Alors que le Conseil de prud’hommes avait, lui, validé la faute grave, la Cour d’appel ne considère même pas qu’il s’agit d’une cause réelle et sérieuse et juge que le licenciement est injustifié, avec toutes les conséquences financières que cela induit pour l’ex-salarié (et son ex-employeur).
Ces illustrations jurisprudentielles sont sources pour l’employeur d’une certaine insécurité juridique puisque, pour des faits proches, en cas de contentieux, le « panel » de décisions possible va de la confirmation du licenciement pour faute grave au licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Ces réflexions ne sont bien-sûr pas nouvelles et sont inévitables, la justice restant une justice humaine.
Toutefois, le motif de soustraction frauduleuse de marchandise, du fait de la rupture immédiate et brutale du lien de confiance qui doit exister entre un employeur et un salarié, ne devrait-il pas aboutir à des décisions plus homogènes ? L’appréciation de la sanction par le juge devrait peut-être se limiter à apprécier le degré de gravité de la faute, grave ou simple, selon les circonstances de l’affaire…
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