Dans un arrêt du 7 mai dernier, la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que la démission d’un salarié doit être claire et non équivoque. Principe constant dégagé depuis plusieurs années par la jurisprudence, il est régulièrement rappelé, parfois dans des situations très particulières, et parfois surprenantes.
Un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 7 mai dernier en est une parfaite illustration (Cass. soc., 7 mai 2024, n° 22-23.749).
Quand l’auteur de la démission n’est pas celui que l’on croit…
Dans cette affaire, un salarié, qui venait d’être incarcéré, voulait prévenir son employeur de son absence. Pour ce faire, il a remis à son épouse une feuille vierge qu’il avait simplement signée et lui a demandé d’ajouter manuscritement un texte informant son employeur de son absence. Pensant qu’il était plus opportun pour son mari de démissionner, son épouse a complété en ce sens, et de sa seule initiative, la feuille vierge signée par celui-ci, avant de l’envoyer à son employeur.
A réception de ce courrier, l’employeur a pris acte de la démission de son collaborateur, accédant par ailleurs à sa demande de dispense de préavis.
Quelques jours plus tard, le salarié incarcéré a directement écrit à son employeur afin de lui détailler les raisons de son absence en invitant l’entreprise à ne pas le licencier. Surprise, la société lui a rappelé qu’il avait démissionné de ses fonctions, et que ses documents de fin de contrat avaient été établis. En réponse, et après avoir découvert le contenu du courrier envoyé par son épouse, le collaborateur a sollicité sa réintégration, qui lui a été refusée.
Il a donc saisi la juridiction prud’homale pour obtenir la requalification de sa démission en un licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison d’un vice de son consentement.
La lettre de démission rédigée par l’épouse du salarié à son insu est-elle valable ?
S’il n’a pas obtenu gain de cause en première instance ni en appel, la Cour de cassation lui a finalement donné raison en rappelant le principe constant selon lequel « il n’y a pas de démission si la volonté de rompre n’est pas claire et équivoque ».
La Haute juridiction a en effet retenu que le collaborateur avait uniquement sollicité de son épouse qu’elle prévienne son employeur de son absence et non qu’elle rédige pour lui une lettre de démission. Le contenu et l’envoi de la lettre de démission litigieuse relevait de la seule initiative de sa conjointe, ayant agi sans instruction de son mari, pensant que « c’était la meilleure chose à faire ».
Dès lors, aucune volonté claire et non équivoque de démissionner ne pouvait résulter de la lettre vierge signée par le mari et complétée ensuite par son épouse. Conséquence : la rupture est requalifiée en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse emportant notamment l’allocation de dommages- intérêts.
Cette solution n’est pas isolée. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de rappeler que le consentement du collaborateur peut être altéré lors de la démission, notamment lorsque celle-ci intervient à la suite d’un mouvement de colère (par ex. Cass. soc., 19 octobre 2005, n°04-41.628), d’une forte émotion (par ex. Cass. soc., 10 novembre 1998, n°96-44.299), ou encore de pressions de l’employeur (par ex. Cass. soc., 19 octobre 2005, n°04-42.902).
En cas de lettre de démission rédigée par un tiers, une grande vigilance s’impose donc. Celle-ci peut être valable, à la condition d’être écrite sur instructions du collaborateur, lequel est en mesure de comprendre la portée de cette décision (voir en ce sens : CA Paris, 7 décembre 2023, n°21/03678).
Les précautions à prendre
De façon plus générale, quelles précautions prendre pour éviter le risque de remise en cause de la démission et sa requalification en un licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison d’un vice de consentement ?
Il convient d’apprécier de manière précise tant le contenu de la lettre de démission remise par le collaborateur, que les circonstances qui entourent cette remise. Une rétractation dans un court délai, les motifs évoqués dans la lettre ou encore le contexte factuel dans lequel elle est intervenue, sont des facteurs qui peuvent remettre en question la volonté claire et non équivoque du salarié…
Décidément, et comme en témoigne une jurisprudence récente validant le licenciement d’un collaborateur qui avait dissimulé sa situation maritale avec une ancienne salariée, les relations matrimoniales offrent un bel avenir au droit social (CA Versailles, 30 mai 2024, n°22/00879) !