Emploi

Rediff du 15 juillet 2024

Pour rappel, les opérations de prêt de main d’œuvre sont très encadrées. A ce titre, l’article L. 8241-1 du Code du travail prohibe les opérations à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’œuvre, sous peine de sanction pénale.

Toutefois le texte précise qu’une opération de prêt de main-d’œuvre ne poursuit pas de but lucratif « lorsque l’entreprise prêteuse ne facture à l’entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l’intéressé au titre de la mise à disposition. » (refacturation à l’euro près).

Un cadre initial très restrictif, assoupli par la loi du 15 avril 2024

A travers une des Ordonnances dites « Macron » de septembre 2017, la loi a apporté une dérogation à ce principe, en permettant aux très grandes entreprises d’au moins 5000 salariés, ou appartenant à un Groupe d’au moins 5000 salariés, de procéder à des mises à disposition de collaborateurs, sans refacturation à l’euro près, au profit de jeunes entreprises de moins de 8 ans, de petites et moyennes entreprises de moins de 250 salariés ou d’organismes d’intérêt général tels que visés par l’article 238 bis du Code général des impôts (CGI) , « afin de leur permettre d’améliorer la qualification de leur main-d’œuvre, de favoriser les transitions professionnelles ou de constituer un partenariat d’affaires ou d’intérêt commun ».

Parallèlement, l’article 238 bis du Code général des impôts (CGI) permet aux entreprises prêteuses de bénéficier d’un avantage fiscal lorsque la mise à disposition, se fait au profit d’un organisme d’intérêt général, avec une contrepartie réduite ou nulle. C’est ce que l’on qualifie de mécénat de compétences.

La liste des bénéficiaires d’un tel don en nature est limitative, il peut s’agir d’associations et fondations d’utilité publique, d’établissements d’enseignement supérieur ou artistique, d’intérêt général à but non lucratif, d’organismes d’intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises.

L’avantage fiscal en découlant est une réduction d’impôt représentant 60% du coût de la mise à disposition (somme de la rémunération et des charges sociales y afférentes pour le temps de la mise à disposition du salarié concerné, dans la limite de trois fois le montant du plafond de la sécurité sociale).

Ainsi, alors que les très grandes entreprises pouvaient procéder à une mise à disposition permettant de bénéficier d’une réduction d’impôt, les plus petites entreprises ne pouvaient en principe en bénéficier dans la mesure où les dispositions du Code du travail ne leur permettaient pas d’assurer une telle mise à disposition sans refacturation à l’euro près.

Certaines ont quand même pris le parti d’y recourir sans nécessairement se préoccuper du cadre juridique de la mise à disposition, considérant que la permission d’un tel don en nature était donnée par l’article 238 bis du CGI.

Pour autant, le risque d’une mise en cause pour prêt de main d’œuvre illicite était encouru et c’est la raison pour laquelle, afin de sécuriser et faciliter le mécénat de compétences, la loi n°2024-344 du 15 avril 2024 destinée à soutenir l’engagement bénévole, est venue étendre à l’ensemble des entreprises, quelle que soit leur taille, la possibilité d’une telle mise à disposition au profit d’organismes d’intérêt général.

Les entreprises de toutes tailles peuvent ainsi conclure désormais des partenariats avec des organismes en direct ou avec des plateformes de mise en relation d’associations avec des bénévoles, afin de permettre à leurs salariés, sur la base du volontariat, tout en étant rémunéré, de contribuer à des actions portées par des organismes d’intérêt général, en y consacrant une à plusieurs heures de travail par semaine, mois ou année.

Un dispositif au service d’organismes d’intérêt général

Les associations ou fondations sont de plus en plus en recherche de bénévoles à travers notamment le mécénat de compétences, pour répondre à des besoins ponctuels de compétences techniques spécifiques, qu’elles ne peuvent financer, faute de moyens suffisants provenant notamment des autorités de tutelle.

On peut citer l’exemple d’un informaticien qui répondrait à un besoin de création du site internet d’une association d’aide humanitaire, d’un community manager qui contribuerait à la communication d’une association culturelle ou encore d’un électricien qui serait chargé de participer à la rénovation d’un bâtiment appartenant à une association accueillant des personnes sans-abri.

Il s’agit aussi de permettre à des organismes d’intérêt général de bénéficier d’un « pool » de bénévoles plus large et diversifié, parfois plus facilement volontaires pour se mobiliser sur un temps rémunéré par leur employeur plutôt que sur un temps libre, pour des actions ponctuelles ne nécessitant pas de compétences spécifiques, comme la distribution de repas, le ramassage de déchets, le soutien scolaire, l’apprentissage du français, etc.

Enfin, il s’agit de faciliter pour certaines associations le recours aux bénévoles pour assurer des actions devant être menées sur des temps durant lesquels la plupart des potentiels bénévoles sont en activité (c’est-à-dire en pleine semaine, en dehors des week-ends et des soirées).

Un véritable outil de gestion RH

Au-delà de l’avantage fiscal pouvant inciter certaines entreprises à œuvrer dans l’intérêt général, les atouts du mécénat de compétences sont multiples. En effet, il s’agit d’un véritable outil de gestion de l’emploi dans l’entreprise :

  • Tout d’abord, dans le cadre du déploiement d’une marque employeur et d’une politique RSE, il permet de valoriser l’image de l’entreprise et d’attirer de nouveaux talents en quête de sens, en mettant notamment en avant des partenariats conclus avec des associations véhiculant des valeurs partagées par l’entreprise et œuvrant dans des domaines spécifiques (environnement, culture, éducation, humanitaire, etc.).
  • Par ailleurs, dans le cadre d’un dispositif de QVCT, il permet de fidéliser les plus jeunes, de remobiliser ceux en perte de motivation et favorise l’attachement des salariés à l’entreprise en permettant de diversifier leurs activités, d’œuvrer dans l’intérêt collectif, de répondre au besoin de sens, d’acquérir de nouvelles expériences, d’approfondir leurs compétences techniques ou de développer leurs « soft skills ».
  • Enfin, il permet de gérer les emplois et les parcours professionnels en valorisant les compétences acquises dans ce cadre pour certains et en accompagnant les fins de carrière pour d’autres (en réduisant progressivement le temps de travail dans l’entreprise pour se consacrer à une ou plusieurs associations, tout en conservant leur niveau de rémunération habituel).

Bien que jusqu’à présent mobilisé essentiellement par de très grandes entreprises, notamment pour accompagner les fins de carrière, le mécénat de compétences devrait rapidement être identifié comme un outil incontournable de gestion et d’optimisation, que ce soit en GEPP, en QVCT ou en RSE.

Il n’y a plus qu’à s’en emparer !