A l’origine, la figure du travailleur indépendant était celle du dirigeant d’entreprise à la tête, seul ou accompagné, de son navire. Par opposition, a été définie la notion de salarié, de préférence en contrat à durée indéterminée à temps complet, contraint par un lien de subordination. Cette dichotomie dans le secteur privé a vécu ses plus belles heures et reste – dans les textes – la norme de l’organisation des rôles et statuts de chacun dans l’entreprise, à l’exception notable du statut légal spécifique des travailleurs indépendants des plateformes numériques (Uber, Deliveroo…).
Le contrat de travail, un cadre dépassé ?
Or, non seulement cette norme datée est bien loin de la réalité des entreprises mais elle a, en outre, de véritables effets pervers : comment travailler avec les talents dont l’entreprise a besoin à l’heure où ceux-ci ne souhaitent pas entrer dans ce schéma du contrat de travail ? Comment attirer les compétences dans un environnement rejeté par certains, notamment les jeunes générations qui n’entendent pas se soumettre au cadre rigoriste du code du travail ? Ces questions sont d’autant plus prégnantes qu’elles concernent désormais bon nombre d’entreprises, quel que soit leur secteur d’activité. Cherchant à faire entrer les collaborateurs dans le droit du travail, les entreprises font face à des recrutements longs, complexes, voire impossibles selon les cas et peinent – lorsque le recrutement aboutit – à offrir un environnement jugé satisfaisant, et donc à conserver en leur sein les collaborateurs en question. Autrement-dit, la liberté des uns s’arrête où commence le code du travail.
Certes, les entreprises font preuve d’ingéniosité et d’imagination dans la mise en œuvre de l’organisation du travail, mais en tout état de cause sans pouvoir offrir la flexibilité d’un modèle hors du « cadre », sauf à accepter de travailler avec des collaborateurs freelances.
Le contrat de prestation de service : une solution ?
Nous avons tous en tête des décisions de justice – plus ou moins retentissantes – requalifiant des contrats de prestations de service de travailleurs indépendants en contrat de travail. Viennent alors à l’esprit de chacun l’impact financier du contentieux prud’hommes en tant que tel, le rappel de cotisations URSSAF voire le volet pénal de ce type d’affaires. La crainte de se trouver en pareille situation, après avoir franchi le cap de la collaboration avec des freelances ou indépendants de toutes sortes, s’entend parfaitement. Gardons à l’esprit cependant que la peur n’évite pas le danger.
La solution réside alors dans la maîtrise de la notion de contrat de travail, afin de sécuriser les collaborations qui n’y entrent pas. Tout comme le Conseil de Prud’hommes est le juge du contrat de travail, de son existence même à sa rupture, les Directions des Ressources Humaines et les avocats qui les assistent doivent étendre leurs interventions à la question de la prestation de services. Cette extension de compétence ne doit pas survenir au jour où un conflit s’annonce, mais bien dès l’origine.
Le rôle essentiel des services RH
Tant que la vision du travail organisée par le droit demeurera celle qu’elle est, il est d’évidence que les services RH ont un rôle à jouer dans la conclusion des contrats de prestation de services et surtout dans leur mise en œuvre au quotidien : une relation contractuelle synallagmatique de quelque nature qu’elle soit suppose des prestations réciproques et plus particulièrement (et dans la majorité des cas) dans le monde de l’entreprise, une prestation en contrepartie d’un paiement. Il existe donc nécessairement un contrôle de la prestation d’une partie par son co-contractant.
Or, ce contrôle doit impérativement s’extraire et se distinguer de la notion de subordination. Qui d’autre mieux qu’un spécialiste du droit du travail est en mesure d’appréhender cette distinction et les limites du contrôle ? D’autres questions entrent bien évidemment en ligne de compte pour délimiter les contours de la collaboration freelance et la distinguer du contrat de travail mais, en définitive, il en ressort que les acteurs RH sont le plus en capacité d’organiser de manière sécurisée la collaboration des freelances.
En réalité, c’est la notion même de lien de subordination qui doit être repensée, réinterrogée voire remplacée pour créer un nouveau schéma organisationnel du travail adapté à l’entreprise et à toutes ses formes de collaborations.
Sans attendre qu’une telle évolution ne soit ancrée dans la loi, les entreprises doivent concrètement s’adapter à ces évolutions très structurantes qui impactent nos modèles de travail. Dans cet exercice, les directions des ressources humaines ont un rôle central. Ces dernières doivent d’ailleurs être entendues au sens large, ne pas être réduites au salariat et englober au quotidien, dans leurs actions, toutes les formes de collaborations.