Rappel
La loi n° 2023-1107 du 29 novembre 2023 assurant la transposition des stipulations de l’ANI du 10 février 2023 sur le partage de la valeur au sein de l’entreprise a été publiée au JO du 30 novembre 2023. Elle a pour objet de faciliter la généralisation des dispositifs de partage de la valeur, de simplifier leur mise en place, et de développer l’actionnariat salarié.
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Le principe de non-substitution, vise strictement à interdire de substituer un élément de salaire, assujetti socialement au sens des articles L.131-6 et L. 242-1 du Code de la sécurité sociale (une rémunération variable ou une prime), par un revenu non salarié.
La non-substitution, un principe d’application large
L’article L. 3312-4 Code du Travail codifie l’application du principe de non-substitution aux versements issus de l’intéressement. Ainsi, ces derniers ne peuvent se substituer à aucun des éléments de rémunération en vigueur dans l’entreprise, sauf à ce qu’un délai de 12 mois se soit écoulé entre le dernier versement de l’élément salarial et la date d’effet de l’accord d’intéressement.
La loi du 16 août 2022 sur la prime de partage de la valeur (PPV) donne une autre illustration de ce principe, en rappelant que la PPV « ne peut se substituer à aucun des éléments de rémunération, au sens de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale (…) ».
Les partenaires sociaux, dans le cadre de l’ANI du 10 février 2023 relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise, ont rappelé, de manière générale, l’importance attachée au principe de non-substitution entre les salaires et les dispositifs existants d’intéressement/participation/PPV (Chapitre 1, article 1) : « Les partenaires sociaux soulignent et rappellent avec force l’importance du principe de non substitution. Il s’agit d’une règle structurante. Les sommes versées au titre de dispositifs de partage de la valeur identifiés comme tels dans le code du travail (intéressement, participation, ou prime de partage de la valeur) ne doivent ainsi pas se substituer aux éléments de salaire en vigueur dans l’entreprise ou aux éléments qui deviendraient obligatoires en vertu de dispositions légales et/ou contractuelles.
Les éléments de salaire à prendre en compte pour apprécier la substitution visent toutes les rémunérations versées à l’occasion ou en contrepartie du travail (..) » (voir aussi « Projet d’ANI sur le partage de la valeur : que faut-il en retenir ?).
La non-substitution appliquée au PPVE
Mais plus avant, l’ANI a défini le nouveau plan de partage de la valorisation de l’entreprise (PPVE) apprécié sur une durée de 3 ans, et en a subordonné l’application à un périmètre élargi de non-substitution au-delà des seuls éléments de salaire : « Les sommes versées au titre de ce nouveau dispositif ne peuvent se substituer aux salaires et aux sommes versées au titre des autres dispositifs de partage de la valeur » (art. 21 de l’ANI).
La loi du 29 novembre 2023 portant transposition de l’ANI, reprend le dispositif facultatif qui permet à l’employeur de rendre aux salariés une part de leur contribution dans la progression de la valorisation de l’entreprise (article 10). Ainsi, lorsque sur une période de 3 années la valeur de l’entreprise a augmenté, les salariés qui répondent à certaines conditions sont éligibles à un versement non qualifié de salaire et donc exonéré de charges sociales, mais assujetti à une contribution patronale de 20% (à l’instar des prélèvements propres aux actions gratuites).
Dans le même temps, le législateur, reprenant partiellement les termes de l’ANI, dispose que : « Les sommes attribuées aux salariés en application d’un plan de partage de la valorisation de l’entreprise ne peuvent se substituer à aucun des éléments de rémunération (..) ni à un autre dispositif d’épargne salariale ou de partage de la valeur ».
Les difficultés d’application d’un principe de non-substitution élargi
D’abord, l’interdiction de substitution appliquée au dispositif de PPVE, pose la question de sa temporalité, puisque les éventuels versements aux salariés sont définis et a fortiori effectués, non pas immédiatement mais à l’issue d’un délai de 3 ans.
Mais surtout, l’élargissement de l’interdiction de substitution, non plus seulement aux salaires, mais encore aux versements d’épargne et de partage de la valeur existants, n’est absolument pas justifié et, au contraire, dévoie son principe même qui vise à la protection des finances publiques par la préservation de l’enveloppe salariale assujettie socialement et fiscalement.
Une prohibition, qui engloberait des mesures facultatives d’épargne ou de partage de la valeur, tels l’intéressement et la PPV, n’aurait aucun sens et risquerait au contraire d’être singulièrement contre-productive.
La problématique étant posée, une question se pose : en 2024, l’employeur peut-il substituer une PPV versée en 2023 (facultative) par la mise en œuvre d’un plan de valorisation (facultatif), dont les éventuels versements, en fonction de la progression de la valeur de l’entreprise, n’interviendront qu’à l’issue du délai légal de 3 ans ?
🚨 Un éclairage s’impose. Il est indispensable que le décret d’application apporte des précisions, pour éviter cette vieille antienne trop de fois entendue en matière d’épargne salariale et d’actionnariat salarié, à savoir qu’un dispositif censé être incitatif, vertueux et favorable aux salariés, ne se transforme in fine en un risque financier majeur pour l’entreprise de voir les versements requalifiés en salaires !