Récemment médiatisée à l’occasion des grèves affectant la distribution de carburant, la réquisition de salariés grévistes résulte généralement d’une décision du préfet.
L’article L. 2215-1, 4° du code général des collectivités territoriales dispose ainsi qu’ « en cas d’urgence, lorsque l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police, celui-ci peut, par arrêté motivé, pour toutes les communes du département ou plusieurs ou une seule d’entre elles, réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l’usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu’à ce que l’atteinte à l’ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées ».
Le refus d’exécuter les mesures prescrites par l’autorité requérante constitue un délit qui est puni de 6 mois d’emprisonnement et de 10 000 euros d’amende pour les salariés récalcitrants.
Ce texte, résultant de la loi n°2003-239 du 18 mars 2003, s’applique à la réquisition de salariés grévistes de droit privé, ce qu’a admis le Conseil d’Etat dès 2003 (CE 9 décembre 2003 n° 262186), affirmant que le préfet « peut légalement requérir les agents en grève d’un établissement de santé, même privé, dans le but d’assurer le maintien d’un effectif suffisant pour garantir la sécurité des patients et la continuité des soins. »
Importance particulière de l’activité et menace pour l’ordre public
Aujourd’hui, la jurisprudence administrative conditionne la validité de la réquisition de salariés d’une entreprise privée au fait que « l’activité présente une importance particulière pour le maintien de l’activité économique, la satisfaction des besoins essentiels de la population ou le fonctionnement des services publics, lorsque les perturbations résultant de la grève créent une menace pour l’ordre public » (CE, 27 octobre 2010, n°343966, décision déjà rendue à l’époque à propos d’une grève affectant… la distribution de carburant).
Sont par exemple susceptibles de justifier une telle mesure de réquisition, au regard de la nature de l’activité en cause :
- des activités de santé (sage-femmes d’un service obstétrique : CE 9 décembre 2003 ; médecins : CAA Bordeaux, 29 mars 2018 ; services interventionnels d’une clinique ; laboratoire d’analyses médicales : TA, Châlons-en-Champagne, 21 octobre 2019 et TA Rennes, 15 octobre 2022 ; établissement de santé ou médico-social : CAA Lyon 11 décembre 2018),
- d’énergie (centrale thermique de production électrique : CE, 23 mai 2011 ; établissement pétrolier : CE, 27 octobre 2010 ; TA Lille, 14 octobre 2022 ; TA Rouen, 13 octobre 2022),
- un site Seveso (TA Lille, 20 décembre 2016 ; TA Rouen, 12 septembre 2022).
Urgence et proportionnalité
Le préfet ne peut prendre que les mesures nécessaires, imposées par l’urgence et proportionnées aux nécessités de l’ordre public (CE, 27 octobre 2010).
Illustrations récentes
Plusieurs ordonnances ont récemment été rendues dans le cadre des grèves affectant la distribution de carburant (TA Lyon, ord. réf., 20 octobre 2022 ; TA Lille, ord. réf., 14 octobre 2022 ; TA Rouen, ord. réf., 13 octobre 2022). Toutes ont rejeté la demande de suspension des arrêtés préfectoraux de réquisition de salariés grévistes : la réquisition des salariés était donc licite.
Même solution pour le TA de Rouen, à propos d’un site Seveso (TA Rouen, 12 septembre 2022).
En revanche, le TA de Rennes a récemment jugé en sens contraire à propos d’une grève affectant un laboratoire d’analyses médicales (TA Rennes, 15 octobre 2022) : il n’était pas démontré que « l’ampleur du mouvement de la grève annoncée serait susceptible d’avoir, sur l’activité d’analyse des prélèvements médicaux provenant des établissements privés concernés, un impact tel qu’il serait susceptible de compromettre immédiatement et gravement le fonctionnement du dispositif sanitaire au sein de l’agglomération rennaise, s’agissant de la sécurité des patients et de la continuité des soins, en rendant nécessaire l’organisation sans délai, par voie de réquisition, d’un service minimum ». Dans ces conditions, l’arrêté préfectoral de réquisition de salariés grévistes est jugé comme portant une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit de grève.
Réquisition n’est pas continuité du service public !
La réquisition ne doit pas être confondue avec l’organisation de la continuité du service public prévue par la loi dans certains secteurs (transport terrestre de voyageurs, navigation aérienne, service public audiovisuel) ou que peut organiser l’autorité hiérarchique d’un service public, en l’absence de texte (CE, 7 juillet 1950, Dehaene), en vue d’en éviter un usage abusif, ou bien au contraire pour répondre « aux nécessités de l’ordre public ou aux besoins essentiels du pays » (CE, 12 avril 2013 ; voir par exemple : CE, 5 avril 2022 : le ministre des transports est compétent pour fixer le service minimum sur les autoroutes concédées).
Par ailleurs seule l’autorité administrative est compétente en matière de réquisition : ni le juge judiciaire (Cass. soc., 25 février 2003 ; Cass. soc., 26 novembre 2003) ni l’employeur de droit privé (Cass. soc., 15 décembre 2009) ne peuvent réquisitionner de salarié gréviste.